Extrait :
Extrait de la préface de Bertrand Dicale
C'est dans les faubourgs de Londres
Sur des ruines sans âge
Que s'élève en secret
Le Cirque des Mirages
Des créatures énormes
Des monstres atrophié
Des animaux difformes
Des hommes sans visage
Les textes de ce volume, comme ce Terrible Enfant à gueule de chien, n'ont pas toujours été imprimés. Ils sont nés sur scène, ils sont nés sous les feux obliques d'un plateau de music-hall ou de théâtre. Ce sont des chansons nées avec Le Cirque des Mirages, la plus curieuse apparition qu'ait vécue la musique populaire en France à l'aube du nouveau siècle.
Ces chansons sont portées par une musique inquiétante, comme si une fanfare d'orphelins malades brinquebalait dans le lointain, comme si d'un ordre éteint ne subsistait plus qu'une pompe fourbue - des valses, des tangos, des jazz, des polkas en noir, blanc et rouge... Le pianiste Fred Parker a donné à ces chansons des musiques tout en angles et en exclamations, en ferventes majuscules et en brusques vertiges. Les mélodies, la langue, les personnages, les tragédies, les brumes sont de la plume de Yanowski. En le lisant dans les pages qui suivent, on voit bien ses moulinets des bras avec son pull aux manches trop courtes qui lui font de longues mains blanches d'étrangleur, on entend bien sa voix nasale tantôt cyniquement réaliste, tantôt saisie d'un lyrisme naturaliste volontiers effrayant. En le lisant, on reconnaît cet homme, corps immense évadé d'un film de Tod Browning sur lequel est posé un masque d'avis de recherche, et qui chante avec une voix d'avertissement ultime.
Yanowski dépasse la stature et l'ethos de l'artiste de variétés. Il est littérature, il est légende, il est songe. Il est tout un carnaval noir de crimes au crépuscule, de fantômes cavalcadant dans des faubourgs perdus, d'hypnotiseurs assassins, de prophètes méphistophéliques, de sacrificateurs têtus. Oui, il met en scène des monstres. Oui, il blasphème - «Parfois nous posons nos derrières/Sur les statues de la patrie/Et déféquons à coeur ouvert/Sur la bonne médiocratie», écrit-il dans Les Chiens, trouvant là une des rares possibilités de faire toussoter les bons esprits du temps, pourtant fiers d'être blindés contre les offenses.
Il faut se souvenir du contexte. Nous sommes en 2002, 2003... Certes, c'est un début de siècle mais ce sont surtout les premières années d'une décennie - il ne s'agit pas d'ouvrir un grand volume d'Histoire mais seulement de changer de catalogue. Après que, pendant quelques années, l'on a demandé aux artistes de variétés de hurler le plus fort possible des amours chaque jour plus sublimes et des douleurs chaque jour plus photogéniques, une nouvelle «nouvelle chanson française» surgit. Désormais, on murmure des presque rien, on confesse des brimborions, on énumère de minuscules mélancolies. Plus aucun fracas n'est possible, plus aucune malédiction, plus aucun grincement. On ne meurt même plus - pas même d'amour.
Présentation de l'éditeur :
Mesdames et messieurs, vivants et bientôt morts, entrez, tenez-vous aux tentures, empoignez la rampe et suivez la lueur. Car c'est en bas, au fond, tout au fond. Au fond de la fosse, de la fente, de l'abîme, que nous invite à le rejoindre Yanowski. C'est depuis les outre-fonds des trous les plus infréquentables, tavernes sans néon, vagins avachis, gosiers sans rive, qu'il s'adresse à nous, pousse son brame d'histrion des Derniers Temps, déroule ses cantiques à la mort blême et entonne ses odes déchues à la pourriture fastueuse. Fondateur et animateur, avec Fred Parker, du Cirque des Mirages, il nous offre là des textes germés de la scène, nés des planches où il promène, depuis l'amorce du nouveau millénaire, sa face plâtreuse de pierrot suicidaire et ses cambrures alanguies de Des Esseintes de piano-bar. Il y est question de tout ce qui fait la mort frangine et la vie coquine ? : les putains sans dents et les nuits sans lune, les christs à la trique et les zombies en troupes ; on y parle sacrilège et derniers verres, petites morts et grandes douleurs ; on y voit passer des marins à l'haleine de noyés et des avorteurs mélancoliques, des clowns cannibales et des monstres tricotés d'infamies. Alors si vous êtes encore un tantinet habités du désir d'y croire, de l'envie d'en être et du besoin de survivre, ouvrez Yanowski, il est de la race des Corbière, des Lautréamont et des Lou Reed, né souffleur de bougies et bourreau des âmes, il vous démaillotera de vos croyances au lendemain. Habillé des collages surréalistes de Lou Dubois, voilà le guide-chant de l'Apocalypse. Musique !
Né en 1974,Yanowski est un enfant de la balle. Dès son plus jeune âge, il étudie le piano et écrit ses premiers poèmes. Malgré, ou à cause, de ses études de philosophie, il effectue un voyage chamanique dans la Sierra Madré mexicaine. Au retour, à New York, il rencontre dans une boîte de jazz celui qui deviendra son comparse, le compositeur et pianiste Fred Parker, avec qui il crée le Cirque des Mirages, étrange cabaret expressionniste.
Yanowski a écrit des dizaines de chansons, certaines sont recueillies ici.
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