Extrait :
Trois points noirs apparurent soudain dans l'immensité ocre du désert de Khash, surgis de nulle part, avançant en direction de la piste Zaranj-Delaran. Le paysage était magnifique et presque lunaire. Une étendue plate, constellée de rochers qui semblaient posés sur le sol, sans la moindre végétation, à perte de vue.
Cette piste de tôle ondulée, criblée d'énormes trous, de rochers coupants, remontait de l'extrême sud de l'Afghanistan, à la frontière avec l'Iran, pour croiser l'itinéraire Kandahar-Herat, une route goudronnée, traversant du sud au nord la province du Hilmand, qui jouxtait celle de Kandahar, à l'est. Rien ne différenciait les deux provinces à la géographie identique, semées de villages où les maisons se confondaient avec le désert. Zone presque entièrement consacrée à la culture du pavot, dont la récolte, consistant en trois saignées pour extraire le suc de la tige, venait de se terminer. La Toyota Land Cruiser rebondissait avec tant de violence de trou en trou que Ron Lauder, assis derrière Mohammad, le chauffeur, mit assez longtemps à identifier les points noirs, dont la trajectoire allait croiser la leur.
Il s'agissait de trois motos tout-terrain, en file indienne, laissant derrière elles des nuages de poussière ocre. Ron Lauder regarda la carte posée sur ses genoux.
Ils avaient déjà parcouru près de cent dix miles depuis Zaranj et il leur en restait presque autant avant d'atteindre leur destination : l'aéroport de Shindand, en plein désert, entre Farah et Herat, la capitale de la province. Le génie US l'avait remis en état, avec une piste capable d'accueillir des F-16, à tout hasard. Aucun vol ne le desservait, sauf quelques appareils - hélicos ou avions légers - pour des missions discrètes. Comme l'exfiltration de Ron Lauder, senior field officer de la Central Intelligence Agency, et de sa partenaire, Suzie Foley. Un hélicoptère Blackhawk les attendait à Shindand, pour les transporter jusqu'à l'aéroport de Kandahar d'où un appareil de l'US Air Force les emmènerait à Bagram, la grande base au nord de Kaboul. Ensuite, c'était le retour au pays, le debriefing et les vacances.
Les trois motos roulaient désormais presque parallèlement à la piste et Ron Lauder pouvait distinguer leurs pilotes : des hommes en turbans foncés, Kalachnikov en bandoulière, le pan libre de leur turban serré entre les dents pour qu'il ne s'envole pas.
L'Américain sentit son pouls s'accélérer. Les Kalachnikov, cela ne voulait rien dire. C'était aussi indispensable à un Afghan que sa brosse à dents. Mais les motos tout-terrain étaient souvent utilisées par les taliban. Ceux-ci fourmillaient dans la région, de la frontière iranienne, à l'ouest, jusqu'à Kandahar, à l'est. Tapis dans les innombrables villages d'où ils ne sortaient que pour mener des opérations coup de poing contre les patrouilles de l'ISAF, en particulier les Britanniques basés dans le Hilmand.
Affrontements qui se terminaient toujours de la même façon : les taliban, grâce à une embuscade ou à une IED bien placée, causaient quelques pertes aux militaires et se retranchaient dans un village. Ceux-ci appelaient la «cavalerie» au secours et les F-16 ou les hélicos d'assaut écrabouillaient le village coupable d'abriter les insurgés. Mêmes «intelligentes», les bombes n'étaient pas sélectives. Tuant à peu près deux fois plus de civils que de taliban.
Présentation de l'éditeur :
Malko aperçut derrière lui une moto noire, chevauchée par un homme en turban et comprit que c'était son «contrôleur». Celui chargé de déclencher la charge explosive dissimulée dans la voiture qu'il conduisait.
Il n'avait même pas peur. Une sensation de vide, ce qu'on appelait jadis une «grâce d'état». Une phrase émergeant de ses lointaines études lui revint en mémoire : «Ave Caesar, morituri te salutant». Le salut des gladiateurs romains, avant d'affronter les lions dans l'arène.
Délibérément, il cessa de penser et chercha devant lui l'endroit où il allait terminer sa course et sa vie.
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