Extrait :
«Classement, déclassement, reclassement, de l'Antiquité à nos jours»
La notion de classement, placée au coeur des interrogations et déclinée sous ses différents aspects dynamiques, doit une large part de sa valeur heuristique à son évidente ambivalence. En effet, la notion permet d'embrasser un champ d'investigations qui embrasse, entre classification et hiérarchisation, des opérations et des réalités présentes à toutes les époques et toujours investies de lourds enjeux. Si après le temps de «l'histoire immobile», les notions d'événement, de rupture ont fait retour dans les préoccupations scientifiques des historiens, il apparaît que les dynamiques du classement et les interactions entre classements et configurations changeantes demeurent un territoire largement en friche.
La plupart des systèmes de classement relatifs à des objets appartenant à l'ordre de la nature, de la société, de l'histoire sont fondés sur des critères de parenté ou/et de ressemblance. La similarité, l'association, la contiguïté décident du découpage du réel, de l'indexation de groupes homogènes, de la discrimination de familles d'objets et de leurs positions relatives, créatrices de hiérarchies. Le classement peut alors être réductible à une entreprise de hiérarchisation, de fixation des savoirs, d'ordonnancement des groupes sociaux...
Tout classement est un état transitoire, résultant de l'arbitrage et des volontés du pouvoir, des tensions sociales, des processus de validation des connaissances. État temporaire, il est susceptible d'être remis en question, redéfini, recomposé, modifié par et sous la pression des circonstances historiques, des acteurs sociaux, des débats intellectuels, des controverses scientifiques.
Aussi, afin de saisir le classement tant dans ses expressions apparemment abouties et immuables que dans les dynamiques de sa destruction et de sa reconstitution, trois angles d'approche sont proposés.
Enjeux des classements
Dans des contextes historiques divers, des classements d'essence variée -honorifiques, culturels, sociaux, scientifiques - ont été façonnés sous la pression d'un ou de différents pouvoirs, avec une prégnance généralement forte. Ils intéressent des groupes humains, des systèmes de valeurs, des croyances, des biens culturels, des ensembles textuels...
L'aspect formel et/ou formalisé de ces classements retiendra l'attention avec un questionnement envisageant leurs motifs, leurs manifestations, leurs significations, leurs acteurs. Trois séries de questions peuvent orienter la réflexion :
- comment et selon quels critères, matériels, visibles, immatériels, implicites, symboliques, ces classements ont-ils été élaborés ?
- par qui et avec quelles visées ces classements ont-ils été façonnés ? pourquoi et suivant quels rapports avec l'expression du ou des pouvoirs ces classements sont-ils construits ?
- en quoi ces classements sont-ils des formes ou des empreintes du pouvoir et quelle est leur place - fondamentale, secondaire - dans ces marques du pouvoir ? En quels cas peut-on repérer des contre-classements ?
Présentation de l'éditeur :
Ce livre est le fruit de rencontres et d'échanges entre historiens, littéraires, sociologues effectués de 2005 à 2009 dans le cadre d'ateliers de travail et d'un colloque tenu à l'Université de Limoges autour de ce triptyque problématique : «Classement, déclassement, reclassement». Le titre de l'ouvrage est la reprise littérale et expérimentale d'un article de Pierre Bourdieu paru dans une livraison des Actes de la recherche en sciences sociales, 1978, 24, (4), p. 2-22. En 1978, l'article pointait des questionnements provoqués par la fin de la période de croissance économique dite des «Trente Glorieuses». Trois décennies plus tard, le même intitulé a semblé diffracter les enjeux des premières années du XXIe siècle pour une histoire qu'un adage dit «fille de son temps», interroger des dynamiques toujours chargées de lourds enjeux à différentes époques et nourrir une réflexion critique sur le caractère opératoire des notions mobilisées.
C'est dans une pratique de dialogue et de confrontation des points de vues qui fondent les spécificités disciplinaires, les temporalités universitaires (Antiquité, modernité ; patrimonialisation contemporaine) que ces notions de «classement, déclassement, reclassement» ont été questionnées. Chaque contribution a conservé sa profonde originalité tout en se fondant dans l'architecture générale d'un livre que tous les auteurs ont souhaité de la plus grande cohérence possible.
Ont contribué à cet ouvrage : I. Backouche, A. Blanchard, S. Caviglia, G. Chabaud (directeur scientifique), D. Cohen, A. Conchon, F. Cosandey, L. Crocq, R. Descimon, E. Haddad, A. Heller, J.-P. Jessenne, Y. Lamy, N. Landou, D. Margairaz, M. Marraud, H. Merlin-Kajman, V. Meyzie, G. Tallet.
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