Articles liés à Tourner le dos: Sur l'envers du personnage au cinéma

Tourner le dos: Sur l'envers du personnage au cinéma - Couverture souple

 
9782842923600: Tourner le dos: Sur l'envers du personnage au cinéma
Afficher les exemplaires de cette édition ISBN
 
 
Extrait :
Extrait de l'introduction de Benjamin THOMAS

Lorsque, au début des années 1910, une société de production cinématographique américaine ou un critique de film invitaient expressément les acteurs à tourner le dos à la caméra, il s'agissait bien sûr d'en finir avec les regards dans l'objectif. On ne voulait plus voir les oeillades de l'actrice qui appuyait ainsi son geste tout en donnant l'impression de chercher l'approbation du metteur en scène habitant le hors-cadre, comme dans A Little Girl Who Did Not Believe in Santa Clans (1907) d'Edwin S. Porter. Le temps n'était plus aux clins d'oeil de Georges Méliès, magicien dont l'art requérait un lien de connivence avec son auditoire, quand bien même il serait rassemblé devant lui en son absence. On ne souffrirait plus longtemps les apartés - pas nécessairement accompagnés d'un regard à la caméra, du reste - par lesquels Mazamette (Marcel Levesque), dans Les Vampires (1915) de Louis Feuillade, faisait le point sur l'action passée ou à venir, vers le public, au service de sa totale compréhension des détails ou des enjeux de chaque scène. Tout cela devait être oublié.
À son rythme propre, le cinéma semblait ainsi découvrir l'impériosité des préconisations de Diderot pour le théâtre et la peinture, formulées près d'un siècle et demi auparavant : prétendre que le spectateur n'existe pas, proscrire l'adresse au public, comble du «mauvais goût». Le philosophe réclamait en effet aux peintres et aux comédiens des personnages se comportant comme s'ils ne savaient pas qu'ils étaient regardés, fussent-ils ou non absorbés dans quelque action. Il ne s'agissait pas, bien entendu, de provoquer ainsi une mise à distance définitive et littérale du public, mais, par un paradoxe qui définit toujours l'être-spectateur culturellement dominant, une mise à distance qui garantit en fait un sentiment prégnant d'immersion dans la fiction. C'est bien ce dont témoignent déjà les écrits de Diderot dans lesquels, face à une oeuvre répondant à ses critères, le philosophe se raconte comme s'il vivait à l'intérieur du tableau. Diderot voulait qu'on fît mine de dédaigner le spectateur, non pas dans un geste moderniste avant l'heure nourrissant le projet d'ébranler l'idée même de représentation, mais bel et bien pour décupler la puissance de son regard, qui, s'exerçant désormais «à l'insu» du monde représenté, pouvait en jouir pleinement, à discrétion. Et c'est pour les mêmes raisons que le cinéma au fil de la première décennie du XXe siècle se met à réclamer des dos : pour réapprendre l'humilité aux visages, pour rétablir un équilibre des figures par lequel le film ferait enfin comme si son existence n'était pas déterminée, justifiée par un regard.
Des dos qui n'auraient pas l'outrecuidance de devenir des présences autonomes, donc. Il en va ainsi des dos et nuques, innombrables, des personnages en amorce dans pléthore de champs-contrechamps, qui ont pour seule fonction de donner limpidement à lire la situation (dramatique et spatiale) tout en lui donnant les atours de la vraisemblance et de l'évidence. Mais les dos demeurent tout aussi «inaperçus», car «fonctionnels», dans bien d'autres types de plans. Qui - outre l'observateur traquant déraisonnablement le motif - prête attention aux dos de deux jeunes femmes, en bordure d'un plan de La Marseillaise (1938) de Jean Renoir, silhouettes dont on ne doit pas voir les visages, puisqu'il leur revient d'incarner le peuple indivis, et donc de se «désister» afin que l'oeil s'attarde sur les faces réjouies des héros partant la fleur au fusil ? Ces dos doivent être perçus furtivement, ne frapper l'oeil qu'à l'oblique, pour laisser cette impression diffuse d'une masse populaire (admirative) dont se sont détachés Bomier, Arnaud et leurs compagnons.
Présentation de l'éditeur :
Abbas Kiarostami raconta un jour que son chef opérateur interrompait les prises de vue dès qu'un acteur tournait le dos trop longtemps : alors que le cinéaste trouvait intéressant de continuer à tourner «malgré» le dos, son collaborateur ne voyait nullement la raison de s'attarder sur des profils perdus.

Le dos d'un personnage n'est souvent pour le spectateur que la promesse d'un retournement. Bien des affiches en font aujourd'hui un tel usage : ce qu'elles refusent, le film l'offrira, et plus rien ne se dérobera à la vue du spectateur.

Mais que se passe-t-il, au cinéma, lorsqu'un dos se fait pure présence, attire l'oeil, se donne, pour un instant intense, comme le tout de l'image ? Des plans troublants ont suscité cette question lancinante. Surgis de films de Hitchcock, Mizoguchi, Antonioni et tant d'autres, ils constituent les moments de vacillement d'où sont nées les études réunies ici.

Benjamin Thomas est maître de conférences en études cinématographiques à l'université de Strasbourg. En 2009, il a publié Le Cinéma japonais. Cadres incertains aux Presses Universitaires de Rennes.

Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.

  • ÉditeurPU VINCENNES
  • Date d'édition2013
  • ISBN 10 284292360X
  • ISBN 13 9782842923600
  • ReliureBroché
  • Nombre de pages192
EUR 21,15

Autre devise

Frais de port : EUR 20,53
De Canada vers Etats-Unis

Destinations, frais et délais

Ajouter au panier

Meilleurs résultats de recherche sur AbeBooks

Image d'archives

Thomas, Benjamin. (sous la direction de)
Edité par P U De Vincennes (2013)
ISBN 10 : 284292360X ISBN 13 : 9782842923600
Neuf Couverture souple Quantité disponible : 1
Vendeur :
Librairie La Canopee. Inc.
(Saint-Armand, QC, Canada)
Evaluation vendeur

Description du livre Couverture souple. Etat : Neuf. NA12058, 1189A1, 9782842923600. N° de réf. du vendeur NA12058

Plus d'informations sur ce vendeur | Contacter le vendeur

Acheter neuf
EUR 21,15
Autre devise

Ajouter au panier

Frais de port : EUR 20,53
De Canada vers Etats-Unis
Destinations, frais et délais