Extrait :
Extrait de l'introduction
Il peut paraître paradoxal, au premier abord, d'étudier la présence d'un mythe, et son importance, chez un poète qui prônait, au contraire, l'abandon des métaphores mythologiques dont l'âge classique avait fini par écoeurer la poésie, et l'usage d'une sensibilité nue pour écrire des poèmes dont la simplicité et le naturel devaient toucher le lecteur de façon quasi immédiate. Pour Wordsworth, l'expression poétique de l'émotion ne peut se permettre le détour par des métaphores élaborées convoquant héros et figures de la mythologie gréco-romaine ; la poésie est, avant tout «l'afflux spontané de sentiments puissants». Dans la même préface, il définit son style par deux substantifs : «la simplicité et le dépouillement». Décrire des choses simples dans un langage simple, c'est le projet esthétique qu'il se fixe dans la préface aux Ballades lyriques. Voilà qui exclut tout recours systématique à l'imagerie chronologiquement et géographiquement décalée des nymphes et des dieux s'ébattant dans la campagne anglaise que prisaient tant ses prédécesseurs augustéens. Alors que les peuples d'Europe se libèrent peu à peu d'un Ancien Régime oppresseur, les romantiques secouent le joug de ce qu'on en était venu à considérer comme l'outillage inévitable du poète : les vers réguliers, les rimes, les figures rhétoriques, la mythologie classique.
Cette révolution romantique, mise en mouvement par lui-même, ne touche pas que la forme, elle s'attaque aussi au contenu. Wordsworth écrit non seulement dans la vraie langue des hommes, il parle de vrais hommes. «L'objectif principal que je me suis proposé, donc, dans ces poèmes fut de choisir des incidents et des situations de la vie courante et de les relater ou décrire entièrement, autant que possible, en choisissant des expressions dans le langage que les hommes utilisent réellement.» Les références mythologiques directes seront bien plus nombreuses chez ses successeurs, comme Shelley ou Keats.
Pourquoi, donc, s'intéresser à la présence improbable du mythe d'Écho et de Narcisse dans son oeuvre ? Alors même que le nom du beau jeune homme de la mythologie n'est explicitement cité qu'une fois, au sein d'une oeuvre pourtant très abondante, et ce dans un obscur poème d'adieu à Rydal Mount ? alors que celui d'Écho ne l'est que pour désigner le phénomène sonore auquel la nymphe donna son nom ? Tout d'abord, parce que les romantiques, malgré leurs revendications, et leur rejet, étaient imprégnés de culture classique. Ainsi, parmi tous les ouvrages qu'on trouvait à l'excellente école de Hawkshead où Wordsworth étudia jusqu'à son départ pour Cambridge, seule une infime proportion était en langue anglaise, principalement la Bible et Milton. Le reste était en latin ou en grec, et n'y figurait aucun auteur contemporain. En outre, parce que, paradoxalement, et implicitement, Wordsworth s'identifie aux poètes antiques pour la simple raison qu'eux aussi, à leur manière, peignaient ce qu'ils voyaient, décrivaient leur relation à la Nature environnante. C'est la reprise aveugle et mécanique des procédés poétiques que Wordsworth dénonce, non leur invention et leur usage premier.
Présentation de l'éditeur :
William Wordsworth, narcissique ? Oui, mais d'un narcissisme concret, refoulé, angoissé, et inspiré. Le mythe de Narcisse, mais aussi d'Écho, résonne dans les vers à un niveau littéral : personnages de doubles, scènes d'auto-contemplation, échos des montagnes foisonnent, convoquant la présence sous-jacente d'un mythe aussitôt refoulé. À un niveau plus symbolique, Écho et Narcisse structurent aussi le rapport de Wordsworth à son oeuvre : célèbre pour sa Glorieuse Décennie créatrice, il est le poète de la perte de l'inspiration et de la répétition à l'infini de poèmes sans cesse corrigés, comme on réajuste un miroir. Enfin, poète de l'angoisse de la réception, Wordsworth ancre dans ses vers de véritables modes d'emploi destinés à ses lecteurs, qui doivent s'en faire les échos et non les juges, et se muer en doubles parfaits.
Aurélie Thiria-Meulemans est maître de conférences à l'université de Picardie Jules-Verne et auteure de nombreux articles sur la poésie romantique anglaise.
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