Extrait :
Si je raconte mes années d'enfance, c'est parce qu'à cet âge un détail apparemment insignifiant révèle sans fard le véritable visage de l'âme.
Nikos Kazantakis, Lettre au Greco.
Je venais d'avoir 6 ans.
Ma mère, un soir, entra dans ma chambre et s'assit à mon chevet :
- Aimerais-tu avoir une nouvelle poupée ?
- Oh oui ! Je voudrais un garçon. J'ai déjà beaucoup de filles.
-... et un petit chien ?
- Un petit chien vivant ? J'acceptai avec joie.
- C'est bien, me dit-elle. Demain tu partiras vivre chez un monsieur qui te donnera la poupée...
- Mais je ne veux pas !...
- Trop tard, me dit-elle. Tu as choisi.
Je me jetai hors du lit, me traînai à genoux. Je la suppliai de ne pas me donner à ce «monsieur». Mais elle sortit et ferma la porte.
Le lendemain matin, on me mit de force dans un taxi. J'étais une petite fille vigoureuse. Je me débattais à coups de pied et de poing. Place du Trocadéro (alors que le taxi ralentissait) j'ouvris la portière et tentais de me jeter dans le vide. Le «monsieur» qui devait m'accueillir était mon père. J'avais oublié son existence. Il me serra dans ses bras. Il pleurait de joie ; je pleurais de terreur...
Ce jour-là, en quelques minutes, ma vie a été brisée. Depuis, je n'ai fait qu'en recoller les morceaux. J'aurais pu dire, comme ma compatriote Nina Berberova : «Mes parents n'ont fait que me donner un nom... Le reste est de moi.»
Mes parents étaient russes, jeunes, beaux, et immensément riches. Ils possédaient plusieurs domaines (dont le château Scott à Cannes, dont le parc, aujourd'hui démembré, abrite une dizaine de villas).
Mon père avait trois automobiles, alors qu'aux limites du domaine d'Alabvia2 (en Russie) n'existaient que quelques arpents de routes boueuses !... J'étais élevée dans le monde baroque des nounous russes et gouvernantes suisses. La nounou, pleine d'expérience mais âgée, risquait de me laisser choir... aussi était-elle secondée par une aide-nounou aux bras plus vigoureux. J'avais aussi une gouvernante.
... J'en parle avec complaisance et même avec «un certain sourire» car cela fait partie «des hauts et bas vertigineux» de mon existence, tels que les a vus mon vieil ami Peul Amadou Hampâté Bâ, quand, des années plus tard, il dressa mon horoscope.
À 15 ans, je travaillais pour gagner ma vie.
Quand je recherche mes premiers souvenirs, je me retrouve à Londres. J'ai 3 ans. C'est la guerre. Londres, la nuit, tous feux éteints, avec ses étranges fiacres, et l'angoisse de me sentir si petite dans un monde hostile et obscur...
Suivent ensuite quelques images : Petrograd en hiver. Ma gouvernante me conduit en traîneau vers une aire de jeux. Le traîneau est en bois précieux, capitonné de velours rouge. Je porte un manteau de fourrure, et une couverture de fourrure me couvre jusqu'à la taille. Et là, je découvre d'autres enfants, qui n'ont ni traîneau ni fourrures, qui dévalent les pentes en grappes, à califourchon sur une planche... et s'amusent d'ailleurs beaucoup.
Une autre image encore : je me balance sur des agrès dans notre domaine d'Alabvia. Et j'aperçois au-delà de la haie, si près de moi et cependant si loin, d'autres enfants qui se balancent sur une corde tendue entre deux pommiers.
À quatre ans, je suis une enfant intériorisée, réfléchie. Ces deux incidents suscitent en moi des questions que je m'efforce en vain de résoudre : Pourquoi ces enfants ? Pourquoi pas moi ? Pourquoi cette différence ?
Présentation de l'éditeur :
Et si le secret du bonheur consistait simplement dans cette lente éducation de soi qui, peu à peu, conduit à se détacher du monde, à ne s'intéresser aux choses que pour y prélever un appui ?
Mariane Kohler, à un âge où le seul sens de la vie est de transmettre, a voulu dire l'expérience de sa recherche spirituelle, son cheminement obstiné vers l'épanouissement et la plénitude. Son témoignage est le récit d'un formidable parcours initiatique, émaillé d'interrogations et de doutes.
Au fil d'un récit, celle qui fut l'une des grandes figures de la presse féminine des années 1960 rapporte ses rencontres avec quelques-uns des grands maîtres spirituels chrétiens, hindouiste, bouddhistes, soufis et ses engagements. Elle nous restitue l'enseignement qu'ils lui ont délivré et nous montre en fin de compte que le parcours spirituel est fait de renoncements successifs.
«Je découvrais la simple et indicible réalité, ni vide, ni plénitude... Aucune place pour l'inconscience, ni l'illusion. J'éprouvais sur le plan spirituel, un bonheur d'être paisible, permanent, libre de toute saisie ou attente, ce que l'on peut appeler : la légèreté d'être.»
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