Extrait :
I - Lettre à Champollion
«Très cher Jean-François,
Un jour d'hiver - celui du calendrier et celui de ma vie - je reprends la plume pour adresser à vos mânes cette lettre qui sera probablement mon ultime hommage à votre génie.
C'est donc par-dessus les siècles et l'espace que je vous exprime mon admiration pour votre oeuvre unique, poursuivie avec la ténacité du prédestiné. Votre passion pour l'Égypte a été aussi la mienne grâce à vous et je m'honore d'être parmi vos lointains disciples. Dans cet état d'esprit j'ai fait recouvrir, à nouveau, de l'or solaire le pyramidion de l'obélisque de Louxor qui se dresse aujourd'hui au centre de Paris. Seule des «aiguilles magiques» qui n'ait pas été volée des rives du Nil, mais don généreux à la France par l'Égypte reconnaissante à celui qui lui a rendu son histoire, son Verbe par l'écriture sacrée, ses racines et sa gloire qui est aussi la vôtre. Tel un phare - celui d'Alexandrie n'est-il pas une des sept merveilles du monde antique ? - l'obélisque, témoin de votre épopée, envoie son message à tous ceux qui le captent et se laissent guider par lui. Vous n'avez pas eu la joie de l'admirer place de la Concorde, debout intact, grâce à vous encore. Le gouvernement de Charles X voulait, pour des motifs grossièrement financiers, faire découper le majestueux monument en plusieurs blocs, afin d'en diminuer les frais de transport ! Averti par des amis vigilants en Égypte, vous aviez pris langue avec un ingénieur français capable et la précieuse relique de l'Égypte ancienne put voyager dignement d'une seule pièce. Cher Jean-François, ne me reprochez pas d'avoir fait découper savamment en des milliers de blocs les deux sanctuaires d'Abou-Simbel pour les préserver, mais la tâche fut alors tout autre - et l'Égypte aussi.
Lorsque, jeune archéologue, j'ai commencé le travail sur le terrain à Edfou, au temple d'Horus encore dans les sables, j'ai pensé à vous qui aviez péniblement franchi l'ensablement du grand temple d'Abou-Simbel, afin de lire ses inscriptions, relever ses fresques historiques et de méditer la signification de ses statues et de son extraordinaire architecture, car, d'une certaine manière, je vous y ai suivi.
Votre persévérance inébranlable de mener à bien votre projet malgré tous les obstacles qui se dressaient sur votre chemin, m'a donné la force d'entreprendre ce qui a été l'oeuvre de ma vie : la sauvegarde des monuments de la Nubie sous la houlette de l'UNESCO. Dans mes pensées vous m'y avez accompagnée par votre expédition vers les relais divins de Ta-Séty.
Howard Carter fit sortir de l'oubli un jeune roi, dont le masque d'or au regard de lapis, ainsi que son trésor, émerveillèrent la planète tout entière. J'ai pu organiser sa première exposition hors d'Égypte, et si la France fut choisie pour cet événement, c'était sans doute en souvenir de vous.
Semblable à Tout-Ankh-Amon vous avez, pour nous, la jeunesse éternelle. Quant à moi, l'Égypte millénaire m'a assez bien conservée... aussi étais-je préoccupée par la santé du grand Ramsès, auquel vous étiez particulièrement attaché. J'ai pu le faire «soigner» en France afin que sa momie ne fût détruite par des champignons parasites. Cette visite royale fut pour nous l'occasion d'évoquer le long règne de ce roi par une exposition qui a attiré, outre une foule considérable, des têtes couronnées de notre temps - apparemment, les pharaons se plaisent à Paris...
(...)
La barque de Rê a continué son périple... et depuis votre départ, vous avez peut-être pu rejoindre d'autres «vivants». Après avoir passé l'épreuve de la psychostasie et répondu au tribunal divin, vous avez très certainement été accepté à bord de la nef cosmique.
Aujourd'hui la montagne occidentale est en vue pour moi...
Les deux lions Aker, hier et demain, encadrent l'horizon dans le feu du couchant. Mes pensées vont vers vous...
Quel bonheur cela serait-il pour moi de vous rencontrer enfin ! pour de nouvelles aventures dans le corps de Nout, constellé d'étoiles.
Alors, peut-être à bientôt, très cher Jean-François ?»
Christiane Desroches Noblecourt
A Sézanne, le 14 juin 2011
Présentation de l'éditeur :
Premier volume dune série consacrée à l'écriture de l'Égypte ancienne, Hiéroglyphes est une introduction dynamique et colorée qui permet d'assimiler, à travers la lecture de prénoms, les différentes catégories de signes ; l'écriture égyptienne se dévoile et s'adresse alors à nous directement.
Ce jeu linguistique guide le lecteur jusqu'à la première étape des travaux de Champollion, car c'est par le déchiffrement de Ptolémée et Cléopâtre, prénoms royaux écrits en hiéroglyphes, qu'il comprit les fondements de ce code graphique millénaire.
Ruth Schumann-Antelme, chercheur au CNRS (e.r.), ancien professeur à l'École du Louvre, auteur de plusieurs publications égyptologiques, a effectué de nombreuses missions en haute Égypte, notamment avec Christiane Desroches Noblecourt.
Stéphane Rossini est auteur et dessinateur, spécialisé dans l'iconographie de l'Égypte ancienne.
Ensemble, ils ont déjà publié de nombreux livres traduits en plusieurs langues.
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