Extrait :
Les contes
Mademoiselle,
On ne trouvera pas étrange qu'un enfant ait pris plaisir à composer les contes de ce recueil, mais on s'étonnera qu'il ait eu la hardiesse de vous les présenter. Cependant, Mademoiselle, quelque disproportion qu'il y ait entre la simplicité de ces récits et les lumières de votre esprit, si on examine bien ces contes, on verra que je ne suis pas aussi blâmable que je le parois d'abord. Ils renferment tous une morale très sensée, qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui les lisent.
Ainsi commence l'épître par laquelle sous le nom de son fils Pierre Darmancour, dans l'édition de 1697, Charles Perrault dédicaçait à Elisabeth-Charlotte d'Orléans ses Histoires ou Contes du temps passé pour lesquels, en frontispice, la gravure initiale suggère un autre titre, écrit en lettres majuscules sur une plaque fixée par quatre clous à la porte d'une pièce qu'éclairent une chandelle et le feu d'une haute cheminée : CONTES DE MA MÈRE L'OYE. Assise devant la porte, la tête à hauteur de la serrure, une vieille femme file sa quenouille et conte des histoires à trois enfants, deux garçons et une fille, qui l'écoutent. Devant l'âtre, un chat, béatement, se chauffe.
On ne saurait trouver, de ces contes traditionnels, une définition à la fois plus concise et plus éclairante que celle dont Charles Perrault nous donne ici la clef, secrètement, en quelques mots.
À qui pouvait-on faire croire, au Grand Siècle, que des récits entendus et réentendus par chacun, du petit paysan au fils de grand seigneur, de la bouche de sa nourrice ou de sa grand-mère, ou bien au cours de veillées, avaient été inventés par un «enfant» de ses contemporains ? Telle ne pouvait être l'intention de Perrault. L'«enfant» auquel il attribue son recueil n'évoquerait-il pas plutôt un certain niveau de la conscience, à partir duquel peuvent être entrevus des panoramas habituellement cachés à la perception dite «adulte» ?
«Ils renferment tous une morale très sensée, écrit le soi-disant Darmancour, qui se découvre plus ou moins, selon le degré de pénétration de ceux qui les lisent.» On a du mal à croire que Perrault parle ici des «moralités» tournées dans l'esprit de son époque, légères et conventionnelles, qu'il propose en conclusion à l'issue de chacun de ses petits contes. N'aurait-il pas voulu évoquer plutôt la pluralité des sens qu'ils recèlent, les multiples domaines, vers lesquels ils étendent leurs perspectives et dont ils pénètrent les bois secrets ?
C'est vers l'un de ces domaines que nous allons tenter un voyage, sans oublier que beaucoup d'autres directions seraient aussi bonnes à prendre, et dont beaucoup, d'ailleurs, ont déjà été prises.
Présentation de l'éditeur :
Depuis le XIXe siècle on s'interroge sur l'origine des contes dont les thèmes, souvent similaires, circulent depuis toujours parmi les peuples des différents continents.
Pour désigner le corpus des contes traditionnels, chaque langue a forgé des expressions qui lui sont propres. L'examen de quelques unes, parmi celles que leur donne le français, semble pouvoir fournir des indices sur les directions à prendre pour tenter d'approcher les sources de leur inspiration.
Quoi qu'il en soit, ces vieux thèmes ont traversé les millénaires et les pays, indifférents à toute croyance, à toute politique, comme à toute règle de morale ou de civisme au-delà desquelles ils ont su garder intacts leurs messages. Ces messages sont aussi variés et aussi nombreux que les individus auxquels ils parviennent.
L'horizon d'un conte est aussi insituable que celui d'un paysage, et c'est pourquoi l'exégèse en sera toujours infiniment incomplète. Rien de ce qu'on pense y avoir découvert ne vaut ce qu'il rester toujours possible d'y découvrir.
Les thèmes des contes populaires authentiques sont porteurs de signaux, qui semblent marquer des étapes sur les voies de l'initiation dans le sens universel et le plus élevé de ce terme.
L'AUTEUR
Il a été membre du groupe surréaliste fondé par André Breton.
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