Extrait :
Extrait de la préface de Bertrand Richard :
Il est un temps pas si lointain où le pessimisme fin de siècle d'un Arthur Schopenhauer s'exprimait ainsi : «La vie est un pendule qui oscille de la souffrance à l'ennui»... Des Esseintes, le très célèbre et très nerveux héros de Joris-Karl Huysmans, dans À rebours, promenait sa langueur dans une époque où le progrès avait tué le rêve, où la démocratie bourgeoise avait sapé la révolte, où les jeunes hommes avides d'aventures venaient trop tard dans un monde trop vieux. La déception existait déjà, pour qui se satisfaisait d'un verre de bière pris à la gare du Nord plutôt que d'un authentique voyage à Londres, trop éreintant. En caractérisant notre société hypermoderne comme étant une «société de déception», l'analyste de l'hypermodernité Gilles Lipovetsky enfoncerait-il une porte ouverte, vieille de plus d'un siècle maintenant, et qui aurait simplement ses continuateurs contemporains, de Cioran à Houellebecq, avatars d'un même mal-être ? Evidemment, l'auteur de L'Ère du vide ne fait pas mystère de ce que la déception est de tout temps ce manque à être, cette insatisfaction existentielle qui prend souche là où il y a de l'humain. Mais pour ajouter aussitôt que la déception moderne s'est radicalisée, amplifiée sans doute à un niveau inédit dans l'histoire de l'Occident. Pourquoi ? Serions-nous davantage métaphysiques et spleenétiques que nos prédécesseurs ? Sûrement non. En revanche, nous ne vivons pas tout à fait dans le même monde. La mode, l'hédonisme, le nomadisme technologique et affectif, l'individualisme conquérant, toutes choses soutenues et exaltées par la consommation, dont Gilles Lipovetsky a fait le fil d'Ariane de ses travaux et le levier interprétatif de notre modernité, nous ont rendus sans cesse plus responsables de notre bonheur en même temps que soumis à son obligation, à son exigence un peu dictatoriale et bien marketée. Plus notre emprise sur nos destins individuels s'étend, plus la possibilité d'inventer nos vies s'accroît, plus l'harmonie, en un mot, semble accessible, et plus son refus têtu de s'offrir à nous nous paraît insupportable et frustrant. C'est cela, l'empire de la déception : cette liberté sur fond d'âpreté libérale et d'eschatologie en berne étendue à toutes les sphères de la vie humaine.
Présentation de l'éditeur :
Travail, culture, amours, chose publique, peu de domaines de nos vies échappent à l'empire de la déception. Cela est sans précédent. L'analyste de nos sociétés hypermodernes Gilles Lipovetsky pointe bien sûr la frénésie consommatoire, mais refuse d'y voir la seule cause de notre désenchantement. Contre les idées reçues, c'est pour lui du côté des désirs non matériels que la déception opère le plus, et non du côté des simples biens de consommation. N'y aurait-il plus rien à attendre d'une démocratie ramenée au médiocre statut de moins mauvais des régimes ?
Gilles Lipovetsky enseigne la philosophie à Grenoble. Son oeuvre a profondément marqué l'interprétation de la modernité depuis la publication, en 1983, de L'Ère du vide. Ni contempteur ni zélateur de la modernité, il en explore les réussites et les drames avec le même souci de rigueur. Aucun «pari métaphysique» chez lui, mais une exposition falsifiable des phénomènes qu'il observe.
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