Extrait :
Avant-propos de Max Chaleil
Zoltan, mon ami
J'ai rencontré Zoltan voilà trente-cinq ans et, tout de suite, est née entre nous une amitié qui ne s'est pas démentie. Sa vie tumultueuse, chaotique, ballottée, comme il le dit, dans le vent violent de l'Histoire, volontaire, où le courage jamais ne faillit, où le sentiment de la justice nourrit son incroyable ardeur, il m'en avait parlé à de nombreuses reprises. Mais par bribes, en séquences hachées, discontinues, sans chronologie ni fil directeur. Et je l'avais encouragé à écrire tout cela, à l'organiser, afin d'aboutir à un livre retraçant un parcours de soixante-dix ans, parcours exemplaire qui, d'une Hongrie d'avant-guerre, encore proche du XIXe siècle, nous fait traverser les terribles épreuves du XXe. Le fascisme, l'antisémitisme, l'occupation nazie, la guerre et son cortège d'horreurs : bombardements, massacres, famines, viols.... L'occupation russe, le rideau de fer, la révolution de 1956 et enfin, la fuite à l'Ouest où une nouvelle vie commence en Belgique.
Plusieurs vies, plusieurs métiers, de multiples expériences, des amitiés fidèles, des amitiés trahies, des deuils précoces, la proximité incessante de la souffrance et de la mort, mais toujours l'enthousiasme, l'obstination, le sentiment que l'homme ne vaut qu'en refusant la soumission et que sa dignité et sa soif de liberté nourrissent son espérance.
Comme je l'avais fait avec mon père quand j'écrivis La mémoire du village, son fils Matyas questionna Zoltan, l'enregistra, obtenant au gré des mots la trame d'une vie, ses grands moments et ses instants d'intimité... Peu à peu se dessinaient une structure, une parole, un parcours, un message que les amies, Marie Borin, Marie-France Renard, et son épouse Anne Capet complétèrent au fil de multiples conversations. Le grand corps de la mémoire s'étoffa, s'épaissit, les souvenirs s'incarnèrent, prirent vie sous la protection du regard si tendre de Zoltan et de ses rires généreux auxquels nul ne pouvait résister.
Tel est ce livre. Un témoignage et une leçon de courage. Un bel exemple à méditer pour rappeler que, même plongé dans la tragédie et l'horreur, l'homme, toujours, peut s'insurger s'il est mené par une juste révolte et une exigence éthique. N'est-il pas apte, comme le dit encore Zoltan, à «retourner la peau du destin» ? Tel est Zoltan. Écoutons-le.
«Je me souviens», écrit-il souvent. Et moi, je me souviens du jour où, il y a longtemps, il me rendit visite en Cévennes et m'offrit des graines de roses trémières rapportées de Hongrie. Les graines ont éclos et les roses de Hongrie continuent à fleurir en cette Cévenne opiniâtre, comme l'était Zoltan.
Présentation de l'éditeur :
Ce récit est l'itinéraire d'un enfant du Danube qui, entre 1932 et 2010, traversa divers moments de l'Histoire : de la Hongrie féodale d'avant-guerre au régime fasciste allié à l'Allemagne nazie, de l'occupation allemande et la liquidation des Juifs au siège de Budapest, de l'arrivée des Russes à l'instauration, en 1945, d'une «démocratie populaire» totalitaire. Jeunesse difficile où l'adolescent, pénalisé par ses origines bourgeoises, se voit refuser l'accès à l'Université et devient manoeuvre puis ouvrier. Un quotidien alors fait de grisaille, de propagande, de frustrations et de rêves de liberté. En octobre 1956, Budapest soudain s'insurge. Zoltan participe aux combats et à l'espoir démocratique. Mais le 3 novembre, l'armée russe entre dans la capitale et écrase la révolution. Zoltan et quelques-uns de ses amis réussissent à franchir la frontière autrichienne et se retrouvent à l'Ouest. Arrivé en Belgique, il s'inscrit à la faculté de Médecine de Louvain, tout en travaillant pour subsister.
Passionné par la psychanalyse depuis son enfance, il obtiendra une licence de psychologie. Après un séjour au Congo comme professeur pour l'UNESCO, il rejoint l'École belge de Psychanalyse et se lie avec Jacques Schotte, René Micha, Octave Mannoni, Jean Oury ou Félix Guattari, avec lesquels il travaillera sur le projet du Snark, institution thérapeutique non répressive accueillant des adolescents difficiles. Il s'intéresse à Jacques Lacan qu'il rencontre à maintes reprises, et crée, en 1984, avec des amis, le Questionnement psychanalytique.
Récit d'une vie, d'un combat incessant, d'une revanche, mais aussi histoire d'une désillusion que ne tempérera pas, en 1995, la remise, par son pays, de la médaille des Héros ; en effet, Zoltan découvrira que deux de ses plus proches amis, travaillant pour la police secrète hongroise, l'avaient surveillé de 1960 à 1989. Défenseur acharné de l'Europe et de la démocratie, il meurt à Bruxelles le 13 décembre 2010, à l'aube de la présidence hongroise.
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