Extrait :
À mon sens, un trait distinctif sépare l'humanité de ce qui compose le reste du monde - les spaghettis, les feuilles perforées, les créatures marines des profondeurs, les edelweiss et le mont McKinley -, seuls les êtres humains possèdent la capacité de commettre n'importe quel péché à n'importe quel moment. Ceux qui tentent de construire une existence bonne et juste se trouvent aussi loin de la grâce divine que l'Étrangleur de la Colline, ou qu'un être malfaisant qui tenterait d'empoisonner le puits d'un village. Les événements de la matinée ne font que confirmer mon opinion.
C'était un merveilleux matin d'automne. À l'ouest, le soleil enflammait les crêtes des montagnes d'un rose acidulé, et la ville n'avait pas encore généré sa couverture de smog quotidienne. Avant de partir pour le lycée dans ma petite Chevette blanche, je m'étais arrêtée dans le salon pour observer le port avec le télescope de mon père ; l'eau lisse comme du mercure reflétait la lune qui descendait sur l'horizon d'East Vancouver. En levant les yeux vers le vrai ciel, je vis qu'elle n'allait pas tarder à s'effacer devant le soleil.
Mes parents étaient déjà partis pour leur travail, et mon frère Chris s'entraînait avec son équipe de natation depuis des heures. Le silence de la maison n'était même pas rompu par le tic-tac d'une pendule. En ouvrant la porte d'entrée, je jetai un coup d'oeil en arrière ; quelques gants et des lettres non ouvertes traînaient sur le bureau de l'entrée. Plus loin, des divans bon marché étaient disposés sur le tapis doré du salon, flanqués d'une table basse et d'une lampe que nous n'utilisions jamais parce que l'ampoule grillait chaque fois qu'elle était allumée. Une sensation agréable émanait de tout ce silence et ce calme ordonné, et je mesurai la chance d'avoir un bon foyer. Puis, je me retournai et sortis. J'étais un peu en retard, mais je n'étais pas pressée.
En principe, je partais par le garage mais, aujourd'hui, je voulais observer une petite touche de solennité. Ce matin serait le dernier où je pourrais poser un regard vraiment innocent sur ma maison - pas à cause de la manière dont tout allait se terminer, mais d'un autre drame mineur qui devait trouver sa conclusion aujourd'hui.
Je suis heureuse que la journée ait commencé de manière aussi ordinaire et paisible. L'air était assez frais pour transformer le souffle en vapeur légère et, devant la maison, la pelouse était craquante de gel, comme si chaque brin d'herbe avait été gainé de givre. Les geais de Steller, noir et bleu vif, échangeaient des cris rauques dans l'abreuvoir de l'avant-toit et semblaient mijoter quelque chose. Les feuilles des érables du Japon s'étaient transformées en éclats de vitraux. La beauté du monde me semblait insupportable ; et cette sensation se prolongea tout au long de la route qui descendait de la montagne jusqu'au lycée. Cet excès de splendeur me remplissait d'une délicieuse euphorie, l'intérieur de ma tête me picotait. C'était peut-être ainsi que vivaient les artistes, avec toutes les sensations fourmillant à l'intérieur de leur crâne comme s'il était caressé avec une plume de paon.
J'étais la dernière à me garer sur le parking du lycée. Peu importe la confiance en soi que l'on peut éprouver, c'est toujours inconfortable de penser qu'on est la dernière personne à arriver quelque part, quel que soit cet endroit.
Je portais quatre grands blocs-notes et quelques livres de cours. Quand j'essayai de claquer la portière de la Chevette, elle ne se referma pas correctement, je tentai de pousser avec ma hanche, mais cela ne marcha pas. Je ne parvins qu'à éparpiller mes livres sur le sol. Malgré tout, ça ne m'énerva pas plus que ça.
Quand j'entrai dans le bâtiment, tout le monde était déjà rentré et je retrouvai dans les couloirs la quiétude que j'avais quittée chez moi. C'est le jour du silence.
Avant d'entrer en classe, je devais passer à mon casier et, pendant que je composais la combinaison, Jason arriva derrière moi.
«Bouh.
- Ne fais pas ça, Jason. Tu ne devrais pas être en cours ?
- Je t'ai vue te garer, alors je suis sorti.
- Tu es sorti de la salle, comme ça ?
- Laisse tomber, Miss Collet monté. Tu avais l'air bizarre au téléphone hier soir.
- Ah, oui ?
Présentation de l'éditeur :
Hey, Nostradamus ! nous raconte les lendemains d'un massacre dans un lycée de Vancouver en 1988. Au cœur de ce récit à quatre voix, deux adolescents, jeunes chrétiens conservateurs : Cheryl, une victime, et Jason, son petit ami d'alors qui arrêta le carnage en tuant l'un des tireurs... Inspiré par le massacre de Columbine, à la fois récit à la puissance dévastatrice et soap-opéra satirique, une comédie noire au ton parfaitement juste et un inoubliable portrait de gens aux prises avec le pouvoir destructeur de la religion, mais aussi sa force rédemptrice. Reprenant ses thèmes de prédilection, l'érosion de la foi et le pouvoir grandissant des médias, jouant à son habitude de l'influence du pop art dans la fiction, Coupland s'affirme une fois de plus, avec ce roman original et d'une actualité aiguë, comme l'un des écrivains majeurs de notre époque.
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