Extrait :
La toute première fois que Milford Goodman et Eileen Trefethen se disputèrent, ce fut au sujet du slogan qu'elle voulait imprimer sur les menus : «Plus d'art au mètre carré que dans n'importe quel autre restaurant de la ville.» S'il avait accepté le poste de chef de cuisine, ce n'était pas pour nourrir des curieux venus reluquer des oeuvres. Non, il voulait des clients qui prennent ses plats au sérieux.
- Oh, cesse de faire ta fine bouche ! avait pesté Eileen, lui recrachant sa fumée à la figure.
C'était une grande femme blanche élancée, toujours affublée de tenues tarabiscotées qui se voulaient originales et d'un surplus de barrettes dans ses cheveux auburn pastel.
- Les gens se doutent que la nourriture sera bonne. Je me suis donné un mal de chien pour constituer cette superbe collection et j'ai bien envie de la montrer. D'ailleurs, c'est moi la patronne ici, donc ce genre de décisions, c'est moi qui les prends. Toi, tu es chef, alors occupe-toi de tes fourneaux.
Aux yeux de Milford, la «superbe collection» ressemblait tout au plus à une série de dessins d'enfants ponctuée d'étranges crochets-portemanteaux sur lesquels on risquait de s'éborgner pour peu qu'on soit un peu distrait. Les oeuvres pullulaient sur les murs de la salle à manger, s'infiltraient jusque dans le passe-plat. Elles finiraient par envahir la cuisine s'il n'y opposait aucune résistance. Mais certains combats étaient vains au Top Spot, il le savait. Seuls trois ou quatre établissements avaient confié les rênes de leur cuisine à un noir, dans cette ville. Du haut de ses trente-trois ans, Milford était le plus jeune du lot. État de fait qu'Eileen ne manquait pas de lui rappeler dès qu'il exprimait la moindre contrariété.
- Quand je t'ai déniché, tu n'étais qu'un vulgaire chef de partie chez Reilly's ; et tu pourrais rétrograder en un clin d'oeil. Alors, avant de l'ouvrir, Milford, rappelle-toi qui met du beurre dans tes épinards... ou plutôt dans ton manioc.
Chez Reilly's, son employeur précédent, il avait été bien plus qu'un simple chef de partie ; chargé du service du soir, il dirigeait une brigade de trente larrons. Mais à quoi bon reprendre Eileen ? Elle le savait très bien. Mais elle avait l'art et la manière de réécrire l'histoire à son avantage.
Après la bisbille au sujet du slogan, les querelles se firent de plus en plus violentes et fréquentes, mais ils réussirent tout de même à nouer, bon an mal an, une relation de travail. Milford était satisfait du salaire que lui versait Eileen et de la liberté créative qu'elle lui accordait. Eileen adorait la patte culinaire de Milford, mais ce qu'elle aimait par-dessus tout, c'était en vanter les mérites auprès de ses clients les plus huppés.
- Mais où avez-vous trouvé une telle perle, Eileen ?
Présentation de l'éditeur :
Rickey et G-man, deux chefs qui attirent les ennuis aussi vite que les succès, ouvrent, après Alcool, le restaurant le plus prisé de La Nouvelle-Orléans, un nouveau lieu sur un bateau typique du Mississipi... Et c'est dans un casino flottant qu'ils embarquent pour le dernier volet de leurs aventures, cette fois pimentées cajun...
Poppy Z. Brite
Née en 1967 à La Nouvelle-Orléans où elle vit, lauréate du prestigieux British Fantasy Award, Poppy Z. Brite a publié de nombreux romans et nouvelles. Auteur gothique culte imprégnée de sa ville natale, épouse d'un chef cuisinier, il n'y avait qu'elle pour nous servir une trilogie culinaire aussi savoureuse !
Sur Alcool et La Belle Rouge (Au diable vauvert) :
«Entre cuisine fine et machinations sordides, la sauce prend.»
Philippe Sandre, D-Side
Un ovni romano-culinaire des plus réussis.»
Benoît Legemble, Le Matricule des anges
Née en 1967 à la Nouvelle-Orléans, Poppy Z. Brite décide à 18 ans de vivre de sa plume. Inspirée par Baudelaire et Stephen King, elle est révélée par ses premières nouvelles au charme vénéneux, bénéficiant aussitôt du soutien inconditionnel d'auteurs tels que Dan Simmons, Neil Gaiman ou Dennis Cooper. Ses écrits scandalisent, mais elle est distinguée en 1994 par le British Fantasy Award et fait figure de chef de file d'une avant-garde d'écrivains entre underground, terreur et poésie du corps.
En France, elle a publié Ames perdues et Sang d'encre, Contes de la fée verte, la biographie Courtney Love et le sulfureux et extraordinaire Corps exquis. Sont parus au Diable vauvert, son recueil d'essais et chroniques, Coupable, le roman Plastic Jésus traduit par Virginie Despentes, deux recueils de nouvelles, Self made man et Petite cuisine du Diable et les romans Alcool et La Belle Rouge, la trilogie culinaire qui se conclut avec Soul Kitchen.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.