Extrait :
En juin 199., si l'on en croit son journal, la vie intellectuelle de Ben tournait dangereusement en rond. On y trouve des choses comme «les gens ne pensent pas vraiment ce qu'ils disent», «le bien et le mal sont juste une affaire de goût», ou encore «on veut arriver à des conclusions mais tout n'est finalement (c'est Ben qui souligne finalement) qu'introduction.»
Pour comprendre comment Ben est devenu celui que nous connaissons aujourd'hui, un homme toujours sifflant, jamais contre un verre à boire, et qui a depuis longtemps jeté son journal aux orties pour se consacrer à l'étude enthousiaste des animaux, il faut remonter à ce matin d'été où Ben sortit de chez lui, sans autre but que celui de sortir de chez lui, juste pour sortir de chez lui.
- On dit «sortir de chez soi», ruminait Ben en marchant, mais c'est impossible. On sort d'une maison, d'un cinéma, d'un tournoi de ping-pong... mais on ne sort jamais de chez soi.
Ça n'allait pas très fort ce matin-là.
Le soleil avait beau faire de son mieux pour éclairer l'esprit de Ben, l'égayer, y faire pousser des pâquerettes, lui restait insensible à sa lumière et à sa chaleur. Il avançait taciturne et à ne voir que son visage on aurait dit un terrible jour d'hiver, gris, froid et pluvieux. Ben était comme une bulle de mauvais temps qui traversait la ville ensoleillée.
Il s'arrêta pour acheter des cigarettes et en sortit une pour l'offrir au clochard du coin, qui la lui refusa.
- Bon sang, se dit Ben, qu'est-ce qu'il peut bien foutre assis là toute la journée sans fumer une seule clope ?
Il se mit un instant à la place du clochard et se reposa la question : «Qu'est-ce que je peux bien foutre assis là toute la journée sans fumer une seule clope ?...»
Ne parvenant pas à y répondre, il reprit rapidement sa place et son chemin.
Ben fit alors demi-tour pour aller poser sa question au clochard mais il repassa devant lui sans oser lui parler. Il changea ensuite de trottoir et reprit, la tête basse, sa première direction.
De l'autre côté, le clochard le regardait d'un air étonné. Ben commença aussitôt à se maudire : «T'es vraiment nul ! Même pas le courage d'adresser la parole à quelqu'un !...»
Présentation de l'éditeur :
«La petite ville dans laquelle habitaient Ben et Fontaine n'avait ni début ni fin et on pouvait s'y promener toute la journée sans en quitter le milieu. Selon une loi que personne n'était parvenu à établir pour la bonne raison qu'elle n'existait pas, la ville bougeait sans cesse. Les rues et les places, les parcs et les maisons se déplaçaient sans qu'on pût aucunement le prévoir. La seule chose dont on était sûr, c'était que cela se passait plutôt la nuit. Mais le jour aussi.»
Ben et Fontaine auraient pu ne jamais se rencontrer, mais la ville en a décidé autrement. Leur histoire d'amour farfelue commence lorsqu'ils découvrent un écriteau FERMÉ POUR CAUSE PAS CONTENT sur la porte d'un épicier disparu...
Régis de Sá Moreira est né en 1973, de père brésilien et de mère française. Il a publié Zéro tués, Le Libraire, Mari et femme et La vie. Pas de temps à perdre a été lauréat du prix Le Livre Élu. Tous ses romans sont publiés au Diable vauvert.
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