Extrait :
Le vent du sud-est
... où l'on découvre Valfred, infatigable dormeur, et son jeune compagnon, Anton, à qui, tout comme au cuistot chinois, il reste bien des choses à apprendre...
L'obscurité de la nuit polaire n'avait pas dérangé Anton. Il avait même accueilli le passage de la lumière à l'obscurité à la manière d'une bénédiction. A mesure que la clarté diminuait, tout s'était ralenti, et la période avant Noël avait été un temps de repos tout juste interrompu par de courtes visites aux pièges et de longues veillées dans la cabane avec Valfred.
C'est seulement quand l'horizon se mit à rougeoyer au sud qu'Anton commença à se sentir bizarre. La pâle luminosité le rendait anxieux et maintes pensées l'assaillaient, pensées qu'il gardait pour lui-même, car Valfred était un imbécile qui ne comprenait rien à ce genre de choses. C'était pourtant des pensées chaleureuses et exaltantes, mais curieusement elles le rendaient à la fois taciturne et dépressif. La moindre broutille l'irritait, il jurait comme un charretier quand une tourmente de neige avait bloqué les pièges, il hurlait comme un hystérique après les chiens et rouspétait contre les corbeaux qui suivaient son traîneau pour picorer les excréments des chiens. Dès qu'Anton vit les premiers nuages colorés par le soleil, tout prit pour lui un aspect démoniaque.
La nouvelle année n'avait que quelques semaines quand, pour la première fois, Anton attela les chiens et se lança comme un dératé plein sud à la poursuite du soleil. Mais il n'avait pas dépasse l'Ile de Ruther que la lumière disparaissait à nouveau. Sur le chemin du retour sa tête fourmillait de pensées. Les sanglots s'étranglaient dans sa gorge et, comme Anton n'était pas du genre à les retenir, les larmes roulèrent sur sa barbe et tombèrent sur la glace comme de petites perles claires. Anton pensait au soleil et à tout ce qu'il illuminait de ses rayons en cet instant précis. Plus qu'à tout, il pensait aux femmes, car Anton était jeune et loin d'être endurci sur ce chapitre.
De retour à la cabane de Fimbul, Anton détela les chiens et les nourrit de poissons séchés. Puis il rentra, s'allongea sur sa paillasse et demeura les yeux fixés sur le fond de la couchette supérieure à écouter les ronflements de Valfred avec une irritation croissante.
Présentation de l'éditeur :
La nuit polaire est longue au Groenland. Pour la meubler, les chasseurs disséminés sur le désert de glace se racontent leurs aventures, véridiques ou pas, leurs racontars, devant une bouteille de schnaps. Un soir, à court d'idées, Mads Madsen invente l'irrésistible Emma. Qui prendra vie d'une manière assez imprévisible...
Jørn Riel est né au Danemark en 1931. Parti avec l'expédition de Lauge Koch en 1950, il a vécu 16 ans au Groenland. Du fatras des glaces et des aurores boréales, il rapportera une bonne vingtaine d'ouvrages, soit à peu près la moitié de son oeuvre à ce jour.
Le versant arctique des écrits de Jørn Riel (dédié pour une part à Paul-Émile Victor qu'il a côtoyé sur l'île d'Ella, pour l'autre à Nugarssunguaq, la petite-fille groenlandaise de Jørn Riel) est constitué d'abord par la série des racontars arctiques, suite de fictions brèves ayant toujours pour héros - ou anti-héros magnifiques - les derniers trappeurs du nord-est du Groenland, paumés hâbleurs, écrivain de pacotille, tireur myope, philosophe de comptoir devant un imbuvable tord-boyaux, bourrus bienveillants, tous amoureux de cet être cruellement absent de la banquise, la femme. Au-delà du rire, parce que les livres sont de nature à dérider les plus mélancoliques, c'est bien toute une nouvelle vision du monde que nous offre Jørn Riel.
Il vit aujourd'hui en Malaisie. Histoire de décongeler, se plaît-il à dire. Mais derrière la boutade se cache quelque chose de plus fondamental. «J'aime la nature, quand il y en a assez, les étendues de glace de l'arctique et la jungle tropicale.» Et cette nature, et les hommes qui la vivent encore, Jørn Riel va maintenant les retrouver, quelques mois chaque année, parmi les papous de l'Irian Barat en Nouvelle Guinée. Qui vivent encore à l'âge de pierre, et n'avaient jamais vu d'homme blanc avant lui.
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