Extrait :
Extrait de l'introduction :
Klaus Mann notait dans son journal de bord : «Quelle étrange FAMILLE nous faisons ! On écrira plus tard des livres sur NOUS - pas seulement sur chacun d'entre nous pris isolément1.» En 1939, le diplomate et écrivain britannique Harold Nicholson avait publié dans le Daily Telegraph, sous le titre «This amazing family», un article dans lequel il critiquait le livre d'Erika, School for Barbarians. On a beaucoup écrit depuis des décennies sur la famille Mann et sur ses membres «pris isolément» ; mais il n'existe pas d'étude «familiale» qui ait été consacrée aux relations des femmes entre elles, et moins encore à l'influence de la mère et de la grand-mère. Katia et ses trois filles pouvaient-elles se dérober aux exigences impérieuses d'un foyer artistique dans lequel tout tournait autour de Thomas Mann, l'écrivain poète, et de sa créativité d'écorché vif ? Pouvaient-elles développer leurs propres projets de vie ? Deux biographies sur Katia Mann ont paru en 2003 ; sur Erika, la fille aînée, il existe une biographie depuis 1996 ; sur la cadette, Elisabeth, depuis 2001 ; sur Monika, nous savons beaucoup de choses grâce à ses propres Mémoires, mais aussi par la correspondance des trois soeurs avec leur mère.
N'ont-elles pas toutes été tôt ou tard, à un moment ou à un autre, dans un rapport de rivalité ? N'ont-elles pas toutes été dominées, de la même façon, par le désir de conquérir l'amour, l'attention et la considération d'un homme aussi grand qu'illustre ? Pour le biographe et pour l'amateur de littérature, ces femmes ne sont-elles importantes que parce qu'elles étaient les filles de Thomas Mann ? Qu'ont-elles produit elles-mêmes ? Que signifiait, pour la vie de chacune des femmes de la famille Mann, cette vie dans l'ombre portée du génial écrivain ? Ont-elles aussi été touchées par la «malédiction de l'écriture» ? Ont-elles ressenti la nécessité de l'égaler dans le domaine qui lui était tout particulièrement réservé ? Les vies des différentes générations, en particulier celles des filles, reflètent naturellement l'histoire de l'époque, mais elles montrent aussi les difficultés individuelles qu'elles ont rencontrées pour mener une vie vraiment indépendante.
Pour tenter d'écrire une histoire familiale des Mann vue sous cet angle, il faut installer Katia Mann - l'épouse et la mère - au centre. Car c'est elle qui a maintenu ensemble cette famille de huit personnes, si dispersée qu'elle ait pu être tant de fois ; c'est elle qui a veillé, dans les temps de guerre, à la nourriture, à l'habillement et au chauffage ; c'est elle encore qui, après de si nombreux déménagements, en Allemagne comme en exil, a toujours su ménager les conditions dont l'écrivain avait besoin pour travailler. Elle a dirigé une maison de grands bourgeois hospitaliers, qui laissait toute liberté à un époux hypersensible pour mener à bien son travail littéraire ; elle a été à ses côtés la partenaire privilégiée des conversations, la première auditrice ou lectrice de ses oeuvres, l'organisatrice et la secrétaire, d'une fidélité à toute épreuve, à travers toutes les vicissitudes de la vie, pendant cinquante ans. Dans le même temps, elle a déployé des trésors de compréhension et de patience pour ses enfants et petits-enfants, si difficiles et si excentriques qu'ils aient pu être.
En 1953, à l'occasion du soixante-dixième anniversaire de sa mère, Erika Mann écrivit que Katia avait décidé, dès le départ, «de rester dans l'incognito et dans le plus grand silence». Jamais elle ne s'est mise en avant d'elle-même pour quoi que ce fut ; elle s'est toujours effacée, même derrière ses propres réalisations. Et elle n'a jamais rien revendiqué pour elle-même, en public comme ailleurs. Si j'ajoute à cela le bien-être des siens et la certitude d'avoir fait de son mieux, si fréquemment que l'on ait fait appel à son aide, je ne fais que dire la vérité, mais je donne en même temps d'elle une image qui, sans être fausse, n'en est pas moins trompeuse. Car "Mielein" -comme la nommaient enfants, petits-enfants et amis - est l'exact opposé de "la personne de valeur" et de la noblesse de coeur incarnée que l'on connaît. Vive comme l'éclair, aussi prompte d'esprit que de compréhension, elle est "bonne" comme les nègres sont foncés - de la façon la plus naturelle et la plus évidente du monde. Paysage animé de mille éclairages divers, son visage - un visage éternellement enfantin - reflète toutes ses pensées, et elle n'a jamais appris l'art frivole du mensonge2.» Peut-être est-ce là un tableau trop enjolivé ? On sait pourtant que les enfants sont les observateurs les plus critiques de leurs propres parents, et qu'il y eut des tensions constantes entre Erika et sa mère.
Présentation de l'éditeur :
Dans la famille Mann, il y a aussi les femmes. À l'ombre de la montagne magique élevée par leur grand homme, ont-elles été heureuses ? Nées riches et rapidement devenues célèbres, membres d'une famille qui était admirée en Allemagne à l'égal d'une dynastie aristocratique, elles fréquentèrent les personnalités les plus importantes de leur époque, depuis le début du siècle jusqu'aux années i960. Et pourtant : aucune d'entre elles ne put sortir vraiment de l'ombre de Thomas Mann, géant de la littérature. Elles rivalisèrent pour attirer l'attention et obtenir l'amour de leur grand «magicien», quelles qu'aient été les diversités de leurs itinéraires personnels. Il y avait là Katia, patronne de la famille, au service de son grand homme de mari : la «sauvage» Erika, la fille préférée, toujours prête à faire scandale, avec son époux Gustaf Grundgens comme avec son frère Klaus : Monika la «mal-aimée», vainement en quête de reconnaissance ; et Elisabeth, la «toute petite», qui fut cependant la plus indépendante de toutes... Et toutes empoignées par la littérature, pour le meilleur souvent, parfois pour le pire.
Hildegard Möller raconte ainsi le roman vrai d'une famille exceptionnelle, nourri aux meilleures sources, et qui a obtenu outre-Rhin un très grand succès.
Hildegard Möller. née à Berlin, s'intéresse depuis plusieurs années à la famille Mann. Après avoir obtenu un doctoral, elle a travaillé à l'Institut für Zeitgeschichte de Munich, et collaboré entre autres au grand projet sur «L'émigration de langue allemande après 1933».
Traduit de l'allemand par Denis-Armand Canal.
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