Extrait :
Prélude
Je l'avoue ici publiquement et comme un acte expiatoire : «Oui, je me suis masturbé... et à plusieurs reprises !»
Cet aveu d'un crime abject doublé de récidive m'aurait coûté la vie en Espagne sous l'Inquisition, m'aurait valu la prison au XVIIIe siècle, la bastonnade et des sévices corporels au XIXe et du mépris ou une forte réprobation il y a peu. Il laisse aujourd'hui certains indifférents, mais blesse encore l'incertitude des autres qui ne savent toujours pas ce que l'on doit en penser.
Ben Johnson a avoué son dopage, de Quincey a avoué l'opium, et Gautier le haschich ; j'avoue la masturbation, crime solitaire s'il en est, qui plonge ses racines dans les préceptes divins du texte de la Bible et renaît de ses cendres au «siècle des ténèbres», le XVIIIe, non celui de Rousseau, mais celui de Tissot, citoyen de Genève lui aussi, qui a très maladroitement prôné la guerre du sexe.
Avec la publication à Londres en 1710 d'Onania puis à Lausanne en 1758 du Traité De l'onanisme et des maladies produites par la masturbation, Marten et Tissot inaugurent deux cents ans d'obscurantisme en déclarant la répression sexuelle, répression des pulsions à peine naissantes, culpabilisation du sexe dans ce qu'il a de plus «inventif», de plus naturel, de plus nécessaire, de plus épanouissant : la masturbation. Au fil du temps, ce discours est passé dans les moeurs, il imprègne encore aujourd'hui la langue et la conscience populaire, il est toujours vivant au coeur de nos incertitudes, il alimente la culpabilité de l'homme, de la femme ou des couples qui croient secrètement, dans leur for intérieur, que ce qui est bon est mal.
Bien que ce soit l'acte le plus fréquent de notre sexualité, la masturbation reste le tabou le plus intime de la morale sexuelle occidentale. Les moeurs ont changé, on montre le sexe à la télé, on peut parler du viol, de l'inceste, du transsexualisme, car cela ne nous concerne pas directement : je n'ai jamais violé ni abusé quiconque sexuellement, je ne serai jamais incestueux (se), tandis que...
Cette formidable croisade, menée pendant près de deux siècles par une armée de persécuteurs naïfs, était en réalité motivée, justifiée, et même légitimée par une très grande peur, celle de l'Apocalypse, de la toute fin du monde, de la destruction de l'humanité, devant cette bouleversante découverte : le sperme est vivant, il contient des êtres humains, attention au génocide !
Hommes et femmes
En 1997, lorsque j'écrivais la première version de ce texte, je le destinais surtout aux femmes pour qui on commençait à comprendre le rôle majeur que joue l'autoérotisme et la masturbation dans la «construction» de leur sexualité. Il en va de même pour les hommes qui ont cependant beaucoup moins de réticence ou d'inhibition à ce geste intime organisateur des pulsions sexuelles. Or ce message, destiné aux femmes, ne leur est pas parvenu. Si le mot masturbation est facilement pensé et prononcé par des hommes et pour des hommes, les femmes utilisent plus délicatement le terme de caresse, notion cependant moins précise puisqu'elle peut concerner l'ensemble du corps. Un Éloge de la caresse intime aurait peut-être été plus juste mais les consciences n'étaient pas prêtes à le recevoir.
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Présentation de l'éditeur :
« Je l'avoue ici publiquement et comme un acte expiatoire : oui, je me suis masturbé ... et à plusieurs reprises ! ». Cet éloge est à la fois un manifeste contre l'ignorance, les préjugés et les idées reçues, mais aussi un ouvrage de libération pour l'épanouissement sexuel, destiné en particulier aux femmes car si la masturbation a été violemment condamnée pendant deux siècles en Occident - Le Petit glossaire masturbatoire en est un exemple elle fait aujourd'hui l'objet d'une nécessaire réhabilitation. On en sait les vertus, surtout pour les filles, notamment à l'adolescence pour permettre l'éveil sexuel, puis tout au cours de la vie pour nourrir le désir et l'énergie sexuelle. L'impertinente Vénus d'Urbino de Titien en 1538, qui orne la couverture, montre combien l'érotisme féminin n'était pas réprouvé au XVIe siècle. Il faut avec ce nouvel éloge bannir toute répression de l'acte le plus naturel qui soit dont l'auteur nous livre ici la beauté du geste.
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