Extrait :
Écrire au-dessous de son volcan
Avatars de la contrainte
Claude BURGELIN
Penchez-vous, penchez-vous davantage.
René Char, Fureur et mystère
Elle est mon étoile du berger. Sous les nuages qui si souvent empêchent de la voir trop vite, je cherche, dès les premières lignes d'un texte, à la discerner. Lisant un roman, des poèmes, un essai (un ouvrage de psychanalyse ?), je pars à sa quête. Derrière la trame d'un récit, le jeu des images et des rythmes d'un poème, l'argumentaire d'un travail de pensée, m'importe d'entrevoir, lignes précises ou paysage encore confus, si l'auteur a obéi à une contrainte suffisamment astreignante pour qu'il s'y engage, pour qu'il m'y engage à le suivre. Une contrainte formelle ? Quelquefois, bien sûr... Mais elle n'est qu'un constituant et parfois un déguisement de celle qui me requiert vraiment. Celle qui oblige à aller jusqu'au bout de ce... mal nommable, mal figurable (les images ici se contredisent : source ? volcan ? part nocturne ? déchirement ?) que je voudrais approcher ou découvrir.
Si je ne sens pas cette exigence à l'oeuvre, avec l'énergie qu'elle transmet, je prends connaissance, je lis poliment et, assez vite, mon souvenir de lecture s'ensable jusqu'aux frontières souvent franchies de l'oubli. Je peux avoir pris un plaisir de l'instant à une histoire bien contée, à suivre la mobilité d'une pensée : mais quand il n'y a pas cette force d'appel que représente la contrainte qui a propulsé l'écriture d'un texte, je ne réponds pas vraiment «présent».
De quelle(s) contrainte(s) s'agit-il ? Sans doute pas les mêmes aujourd'hui ou que jadis. L'effacement de l'auteur derrière son oeuvre a été la contrainte austère à laquelle se sont soumis sans peine l'immense majorité des écrivains et des penseurs des siècles durant. Cette obligation n'a pas semblé être un fardeau pour qui la respectait. Au contraire, l'exigence intellectuelle, éthique, esthétique sortait renforcée de cette apparente mise en retrait de l'auteur. L'«impersonnalité» de l'oeuvre semblait le garant de la nécessité et de la justesse rigoureuse de la démarche comme sa visée ultime. Dieu était encore un interlocuteur et un juge : tenter de l'imiter représentait la perfection de la contrainte. Relisons les propos bien connus de Flaubert : «L'artiste, dans son oeuvre, doit être comme Dieu dans l'univers, présent partout, et visible nulle part» afin de parvenir à «une impassibilité cachée et infinie», l'impersonnalité étant «le signe de la force» (lettres à Louise Colet, 9/12/1852 et 6/11/1853). Flaubert évoque l'état d'ébahissement, de saisissement auquel l'oeuvre d'art devrait mener : il faudrait «qu'on se sente écrasé sans savoir pourquoi». Si c'est bien toujours cet effet de surprise et de découverte potentiellement stupéfiante qui peut nous requérir, les voies et moyens pour y parvenir ont changé. Nous sommes devenus diversement mécréants devant la référence à l'impassibilité comme attribut divin et à la religion de l'art - et rebelles devant cette image de l'écrasement. Cette scène fantasmatique n'a pas disparu (pas plus que Dieu n'est vraiment parti aux oubliettes). Mais elle se mêle à d'autres qui nous sollicitent et nous impliquent bien davantage.
Les conditions et les enjeux de la vie littéraire et intellectuelle ont tant changé depuis Flaubert... L'histoire du XXe siècle a été tragique et monstrueuse, tant et tant de données de la vie et du savoir ont été déstabilisées. La façon dont un sujet campe ou décampe dans l'histoire, dont il a fait face ou volte-face devant les enjeux de vie, de mort, d'ouverture ou de repli qu'il a pu connaître, la manière dont il s'est débattu avec les mots et la langue pour le dire et se dire nous importent au plus haut point. Révolution copernicienne par rapport à un Flaubert affirmant que «l'artiste doit faire croire à la postérité qu'il n'a pas vécu» (ibid., 27/5/1852) : le «comment» et le «pourquoi» de la vie avec l'écriture de celui qu'on a de plus en plus de mal à appeler «l'artiste» est pour nous chose capitale.
Présentation de l'éditeur :
« Remarques sur un cas de névrose de contrainte », 1909, Sigmund Freud
Qu'elle vienne de l'extérieur ou de l'intérieur, la contrainte s'impose au sujet comme une volonté qui veut le soumettre. À l'origine, la névrose obsessionnelle constitue, aux côtés de l'hystérie, l'un des modèles puissants du conflit intrapsychique : le patient est aux prises avec des pensées contradictoires qui colonisent sa psyché et entraînent une symptomatologie parfois épuisante. Une nécessité impérieuse convoque, chaque fois qu'un indice de désir surgit, un commandement contraire dont la dimension punitive est évidente.
Au-delà de la névrose, la contrainte revêt aujourd'hui d'autres formes et produit d'autres effets. Les idées obsédantes génèrent des conduites addictives ou compulsives impossibles à maîtriser et trahissent vis-à-vis de l'environnement une dépendance toxique dont le caractère tyrannique et cruel se révèle à la mesure de la souffrance psychique.
« Réprimer la contrainte », voilà la tâche que Freud assigne à l'analyse pour permettre l'accès à un peu plus de liberté !
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