Vanille ou chocolat - Couverture souple

Stringer, Lee

Couverture souple

ISBN 10 : 2848930268 ISBN 13 : 9782848930268

Editeur : Editions des Deux Terres, 2006

Synopsis

314pages. in8. Broché.

A propos du livre

Extrait :

Trois garçons sans pères descendent Palmer Avenue en évitant de marcher sur les fissures du trottoir. Ils avancent en sautillant et shootent dans des cailloux. On est en 1961. On se dirige vers le grand terrain vague situé en face de chez moi. Pendant dix jours magiques, un an sur deux, il sert de décor au Cirque Clyde Beatty. Dix jours de crottin de cheval et de barbe à papa qui parfument l'air. Dix soirs à écouter les aboyeurs et l'orgue de Barbarie qui m'empêchent de dormir et colorent mes rêves, tout cela presque sous ma fenêtre.
Cet été, c'est l'année sans cirque, mais on a quand même trouvé de quoi s'amuser sur le terrain vague. C'est là qu'on a pris possession d'Okinawa, au cours d'un assaut courageux et glorieux par un après-midi ensoleillé. Nos grenades de terre et d'herbe séchées explosaient magnifiquement contre les pierres et les troncs d'arbre. Ces grands érables dont les branches hautes nous avaient servi, un samedi, à nous balancer comme des singes en nous martelant la poitrine et en poussant des cris jusqu'à être enroués. Un jour, après avoir vu un double programme Tarzan en matinée au Playhouse Théâtre, j'étais tellement exalté que j'avais perdu l'équilibre et fait un joli plongeon. Au moins sept mètres jusqu'au sol. Mais telle est la magie de l'été : je n'ai pas heurté une seule branche.
Un autre jour, on s'est aventurés jusqu'aux confins du terrain vague. De l'autre côté de la voie ferrée, on a découvert une montagne d'ordures cachée sur laquelle reposaient prématurément des jouets magnifiques ayant appartenu autrefois à des enfants plus chanceux. J'avais extirpé des décombres un jeu à ressort Remco en parfait état, avec lequel j'avais passé des heures de solitude. Couché à plat ventre dans le jardin, un oeil fermé dans l'alignement du viseur de la carabine à air comprimé en plastique, j'abattais l'un après l'autre les canards en fer-blanc autour de la cible rotative. Michael, lui, avait trouvé un camion de pompiers. Il manquait une roue à l'avant, mais la pompe et le tuyau fonctionnaient toujours, comme sur un vrai. Je ne me souviens plus de ce que Chuck a trouvé. S'il avait trouvé quelque chose.
Michael et Chuck sont les seuls amis que je me suis faits depuis que ma mère nous a obligés à quitter le Bronx, mon frère et moi, pour venir vivre ici, il y a cinq ans. Je me souviens qu'à notre arrivée, en descendant du train, sur le quai, j'ai entrevu cette petite ville endormie et calme en contrebas, et c'était un peu comme si on était des immigrants, comme si on débarquait en Amérique pour la première fois ; l'Amérique bien propre, celle des maisons à deux étages et des petites routes, celle qui irradie des pages de tant de magazines, avec ses rues plantées d'arbres et bordées de palissades que tant de caméras hollywoodiennes ont parcourues avec amour, l'Amérique de Norman Rockwell et de Frank Capra. Où la poursuite du bonheur est la chose la plus sacrée. Et en effet, je sentais qu'il n'y avait que du bonheur à l'horizon.
Mais dès que j'ai commencé à aller à l'école et à côtoyer les fils et les filles des autres, ce sentiment s'est vite terni. C'était différent dans le Bronx, là où j'allais à la maternelle, avant. Mon maître répétait toujours que je m'entendais très bien avec les autres enfants. Je ne comprenais pas comment on pouvait ne pas être doué pour ça. Que pouvait donc faire un enfant, à part se faire de nouveaux amis ? S'approcher de quelqu'un qu'il ne connaissait pas et dire : «Salut, je m'appelle machin chose. Et toi, c'est comment ?», c'était une nouvelle aventure à chaque fois. Sans même vous en apercevoir, vous vous étiez fait un nouvel ami et le monde s'était encore agrandi.
Mais ici, les enfants ne sont pas aussi ouverts. Quand vous vous approchez d'eux en demandant «Comment tu t'appelles ?», ils ont l'air déconcertés. Ils ont hâte de se sauver et de se débarrasser de vous. Du moins, c'était comme ça avec moi. Ça ne ressemble plus trop à une arrivée au port. C'était plutôt comme si on avait envahi ou dérangé un petit monde déjà achevé et satisfait, qui n'avait pas la place ni le besoin ni l'envie d'accueillir d'autres changements.
J'ai d'abord connu Michael. Il habitait juste à côté de chez moi. Sa maison était cachée par des haies qui mesuraient plus de deux mètres de haut. Elle était minuscule. C'était un ancien stand de hot dogs, m'avait-on dit. À l'intérieur, il y avait tout juste assez de place pour sa mère et lui. Il se tenait à l'entrée de l'allée de graviers. Il n'attendait ni ne cherchait personne. Il semblait content de rester au même endroit, tout simplement. Je me suis présenté. Je lui ai dit que j'avais emménagé juste à côté. On a traîné un peu dans l'immense décharge qui lui servait de jardin. C'était chouette. Je me suis dépêché de rentrer à la maison ensuite. Dans un torrent de paroles essoufflées, j'ai raconté à ma mère que je m'étais fait un nouveau copain.
«Chocolat ou vanille ?» m'a-t-elle demandé.
«Chocolat», ai-je répondu quand j'ai compris ce qu'elle voulait dire.
Elle a souri et a dit : «C'est bien.»

Présentation de l'éditeur :

Peu de temps après sa naissance, Lee Stringer se voit confié à une nourrice par sa mère célibataire et sans emploi. C'est chose fréquente dans l'Amérique des années 60. Ce qui l'est moins, en revanche, c'est que six ans plus tard, la mère vienne récupérer son fils. Là commence l'histoire de Lee Stringer. Noir et pauvre dans une banlieue aisée de New York majoritairement blanche, il couve en lui une douleur et une fureur qui explosent régulièrement à l'école. A la suite de ses éclats, il est envoyé pour trois ans dans un établissement " spécialisé ". Ce récit décrit son expérience avec une profondeur et une intimité intenses. L'enfant découvre le monde et façonne sa vie à partir des matériaux qu'on lui donne, si usés soient-ils. C'est la chronique d'un combat pour
" exister ".

À propos de cette édition

• Éditeur: Editions des Deux Terres
• Date d'édition: 2006
• ISBN 10: 2848930268
• ISBN 13: 9782848930268
• Reliure: Broché
• Nombre de pages: 314