Extrait :
Extrait de la préface de Kenneth White
On le sait, ce sont les civilisés («ceux de la cité») qui ont inventé et développé l'architecture. Les nomades, «barbares» et «sauvages», n'en ont eu cure : pendant que les citoyens, croissant et se multipliant jusqu'à la surpopulation et à l'asphyxie, s'employaient à bâtir logements, prisons, lieux de pouvoir et de culte, ils voyageaient avec le vent en petites bandes éparpillées et composaient de longs poèmes à l'éloge de la terre.
Cela étant, on s'étonnera peut-être un peu de voir quelqu'un qui a beaucoup insisté sur le nomadisme, sensoriel et mental, physique et intellectuel, sur l'espace et le mouvement, plutôt que sur la construction, sans parler du monumentalisme, préfacer un livre sur l'architecture.
C'est que les choses de l'existence sont complexes et que le réel dépasse toujours les compartimentations commodes dans lesquelles une certaine épistémologie enferme la pensée, bloquant ainsi toute recherche ouverte.
«J'ai l'esprit voyageur et l'esprit casanier», disait Hugo. Et Chateaubriand : «Si errant que je sois, j'ai l'esprit sédentaire d'un moine.» Je pense qu'à des degrés divers, nous pouvons tous dire aujourd'hui à peu près la même chose. Il y a en nous une dialectique profonde entre la sédentarité et le déplacement, entre l'errance et la résidence.
Il semble incontestable que toute discipline aujourd'hui devrait tenir compte de ce fait anthropologique fondamental, et peut-être avant tout l'architecture. Sans pour autant que la référence anthropologique entraîne (comme dans un certain «postmodernisme» primaire) une adhésion obligée à toutes les croyances de l'humanité accumulées depuis l'animisme, sans qu'elle véhicule quelque regret que ce soit concernant «le désenchantement du monde» tel qu'on le trouve chez certains sociologues un peu spéculatifs, ou «la perte des dieux» telle qu'on la trouve chez certains philosophes encore un peu onto-théologiens (y compris, de temps à autre, Heidegger, pourtant soucieux de cheminer autrement). On peut s'en tenir aux principes abstraits sans se perdre dans le labyrinthe des productions imaginaires que l'humanité a accumulées au long des siècles.
Il est beaucoup question dans ce livre de géopoétique. Cette nouvelle théorie-pratique puise dans l'histoire de l'humanité sans s'y arrêter, traverse toutes les disciplines sans se cantonner dans aucune. Ce faisant, elle n'est ni interdisciplinaire, ni transdisciplinaire. En jouant au jeu des préfixes, je serais tenté de la dire sur-disciplinaire. Mais c'est en fait une discipline de base, peut-être même la discipline de base.
Présentation de l'éditeur :
Comment fissurer la chape fonctionnaliste qui pèse sur la perception de la nature même de l'architecture contemporaine ? Quel regard porter sur les deux formes «sauvages» que sont l'habitat dit informel - le bidonville -, et la figure de la cabane ? Sortir de la conception étroite d'un habitat réduit à la satisfaction de fonctions basiques (s'abriter, se nourrir, travailler et se reproduire), c'est donc réintégrer les dimensions anthropologiques, symboliques, culturelles et écologiques qui l'ont déserté. Des expériences du Land Art, à l'évolution de la cabane de Dali, en passant par l'approche géopoétique, cet essai tonique ouvre des pistes pour une autre architecture.
Architecte et anthropologue, Jean-Paul Loubes enseigne à l'école d'Architecture de Bordeaux et est chercheur au Laboratoire Architecture-Anthropologie de l'école d'Architecture de Paris-La Villette. Il a consacré de nombreuses recherches à la Chine et à l'Asie centrale et a publié des nouvelles, des romans et de la poésie.
Kenneth White est poète et essayiste. Il a fondé l'Institut international de géopoétique en 1989.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.