Extrait :
Lundi 18 mai 2009
Passée une glissade sur la longue peau bleu pétrole ridée, voici la terre brûlée au-dessous. L'appareil de la compagnie Aigle Azur va toucher la piste d'Alger. Les passagers affectent de ne pas regarder, certains les yeux clos, la plupart agrippés à leur siège.
Je n'aime pas l'atterrissage. Et, cette fois encore, en ce mois de mai 2009, je n'échappe pas à l'inquiétude. Je ne sais si je me sens bien ou mal. Débarquer en Algérie, c'est quelque chose pour un Français. Et pourtant, c'est un peu comme si je rentrais chez moi. Une fois de plus, la traversée de la Méditerranée m'a semblé d'une brièveté extrême. Un simple «Grand-Fleuve» à passer pour se trouver de l'autre côté.
La porte s'ouvre sur une passerelle balayée de lumière et de chaleur. C'est déjà l'été en Afrique du Nord, et c'est toujours la lumière qui fait cligner des yeux et me contraint à chausser mes lunettes de soleil. Une fois encore, je me retrouve sous le haut ciel de Kateb Yacine, dans le soleil noir de Camus et de tant d'autres auteurs. J'ai en tête ces mots de Boudou :
«Derrière moi, le soleil au zénith. Devant moi, tout le pays s'étend jusqu'à la mer, là-bas, à l'horizon, dans un éblouissement... " que calelheja "»
Vers les bureaux, policiers en bleu clair et douaniers en kaki ne daignent même pas me regarder passer. Il est vrai que mon physique ne me dénonce pas comme étranger. Je pénètre tout naturellement dans l'aéroport de Dar-el-Beida. Passée la sortie de douane et de police, je ne vois pas l'ami Zahir qui a promis de venir me récupérer. Je m'assieds sur ma valise rigide.
Qu'est-ce que je viens encore fabriquer en Algérie ? Il faut croire que je n'ai pas tout épuisé d'ici, de ce que recèle ce continent géographique et mémoriel. Je reviens à nouveau de ce côté de la mer, comme un miroir que je ne puis m'empêcher de franchir, en quête de je ne sais exactement quoi.
De l'autre côté, on se demande quel intérêt il peut y avoir à se rendre en Algérie. Certains commerciaux y viennent pour leur profession. D'autres, beaucoup, n'y mettent pas les pieds et n'envisagent même pas de le faire. Lorsque l'on a, comme nombre de Français, vécu là à des titres divers dans ce qui était dit «la France», il existe un grand mur qui fait obstacle au retour, bien plus infranchissable que le Grand-Fleuve.
Je tourne mes regards en tous sens pour tâcher d'apercevoir Zahir. Je ne reconnais pas vraiment le vaste hall moderne de l'aéroport. Un curieux dôme abrite une cafétéria dont j'effectue le tour. Personne, sauf les propositions à mi-voix des taxis clandestins et sauf des gens qui attendent aussi. Je fais rouler ma valise pour m'asseoir dans un fauteuil. Et je guigne les femmes, la plupart sans voile, certaines juste coiffées d'un foulard, le regard noir.
Présentation de l'éditeur :
Dans La Quimèra, son dernier roman publié de son vivant, et dont il voulait faire l'oeuvre de sa vie, Jean Boudou met en scène un rouergat, Pèire Vaissièr, devenu esclave eunuque à Alger, roumi en terre musulmane aux temps du Grand Siècle.
Jean Boudou, né à Crespin (Aveyron) en 1920, et le plus emblématique des écrivains occitans, passa ses dernières années comme professeur au Collège agricole de L'Arbatache, à quelques kilomètres d'Alger et y mourut en 1975. Malgré la maladie et une situation familiale difficile, il n'a ni déserté ni abandonné. Poursuivant son travail d'écriture (La Quimèra puis Las Domaisèlas), il est confronté outremer aux stigmates d'une histoire coloniale qui n'est pas sans rappeler celle de l'Occitanie. Et, au plus fort de la lutte, il passe ses vacances d'été sur le Larzac.
Francis Pornon, né à Limoux (Aude), écrivain et ancien coopérant en Algérie, ne pouvait manquer de s'interroger sur le destin de Jean Boudou. Depuis l'époque de Boudeniene et des débuts de la collectivisation socialiste que connut Boudou, jusqu'au terrorisme et à la guerre civile, et au printemps arabe de 2011, il n'a eu de cesse de retourner sur " l'autre rive du Grand-Fleuve " et d'y être attentif à la situation politique et sociale.
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