Extrait :
Extrait de l'introduction
Dans la mesure où cette traduction du Roi Lear constitue, en regard de la tradition française, une sorte d'hérésie, quelques mots sur la forme du texte shakespearien, si particulier, et sur cette tradition française de traduction, non moins particulière, ne seront sans doute pas superflus.
Il me faut le préciser aussi d'entrée de jeu, ce texte s'inscrit dans l'entreprise de traduction du théâtre de Shakespeare engagée par André Markowicz depuis de longues années et les explications apportées sur plusieurs points peuvent éclairer cette entreprise aux enjeux généralement mal perçus car trop déroutants. Cependant, alors même que nous avions traduit Le Songe d'une nuit d'été ensemble et pensions traduire Cymbeline de la même manière, Le Roi Lear nous a imposé des exigences d'une telle complexité qu'il nous a fallu consentir à ce qu'un seul d'entre nous se consacre au travail de démêlage des noeuds présents presque à chaque point du texte, l'autre se consacrant à la vérification de la prosodie et de la force dramaturgique des propositions.
Je dois préciser enfin que j'ai bénéficié à tout moment de la vigilance enthousiaste du metteur en scène et de la présence active des comédiens que l'étrangeté de ce texte n'a pas un seul moment rebutés. Ainsi puis-je dire avoir traduit pour le plateau, selon la formule consacrée, c'est-à-dire en m'efforçant de respecter la complexité du texte pensé par Shakespeare pour la scène et en m'interdisant de le réduire à la platitude d'un texte contemporain.
I. LE TEXTE DU ROI LEAR
Quoique cela semble relever de l'évidence, peut-être n'est-il pas inutile de le rappeler, Le Roi Lear est l'une des dernières pièces de Shakespeare (elle fut jouée à Whitehall le 26 décembre 1606). Lorsqu'il l'écrit, avec un emportement qui se sent à chaque page, il a produit ses plus grands chefs-d'oeuvre et semble jouer son va-tout. Chose non moins notable, il a, pour chacune de ses pièces, remis enjeu les données de son expérience, comme s'il faisait chaque fois table rase. Or, cette fois, représentant la folie et le délitement du pouvoir, menant deux intrigues parallèles et multipliant les scènes extrêmes, il fait le choix de travailler sur des zones de risque inouïes au point que la pièce a semblé longtemps impossible à représenter. On a longuement épilogue sur le risque de basculer à certains moments dans le ridicule, sur le mélange d'outrance et de grandeur, le vacillement d'un excès à l'autre : de fait, le thème profond de la pièce semble être ce vacillement et le point central de la pièce ce moment de vertige au bord du vide où Edgar, qui n'est plus rien, figure pour son père aveugle, qui n'est plus rien non plus, les hautes falaises blanches de Douvres, limites d'un royaume qui, pour lors, n'est plus rien.
Quatrième de couverture :
Nous devons nous passer d'une bonne part de Shakespeare. La meilleure, disent les Anglais. Admettons-le. Un auteur traduit est un exilé, un réprouvé de naissance, mais auquel nous pouvons offrir au moins l'hospitalité d'une langue qui s'affirme haut et clair comme une vraie langue, digne de ce nom, comme une langue qui ne se prêtera pas plus à la traduction que la sienne, et qui peut-être lui sera douce dans son isolement. Il faut retraduire tout Shakespeare, avec courage, orgueil et patience. Rendre à ce théâtre génial sa violence et sa rapidité, y mettre tout le savoir-faire possible, ne reculer devant aucun procédé. Pour matérialiser sa perspective, Vermeer ne tirait-il pas des fils à partir d'une épingle piquée dans sa toile ? Ecouter la langue et la voix françaises, respecter leur manière particulière. Et porter enfin la plus affectueuse attention à l'ordre des mots. L'ordre des mots ! Mon beau souci.
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