Extrait :
Extrait de l'introduction d'Henri BERGERON, coordinateur scientifique, chaire Santé de Sciences Po, et Centre de sociologie des organisations, CNRS, & Patrick CASTEL, Sciences Po, Centre de sociologie des organisations, CNRS
Regard croisé sur des regards croisés
Cet ouvrage naît d'une démarche, somme toute classique mais toujours heuristique : réunir, confronter et comparer les regards particuliers que portent, de manière croisée, différentes disciplines scientifiques sur un même sujet, en l'espèce l'obésité. En sciences sociales, un même sujet ne veut pourtant pas dire un même objet : la marque qu'impriment les disciplines sur leurs sujets pour les instituer en objets est parfois si singulière qu'il n'est pas toujours aisé de savoir si elles parlent finalement de la même chose. C'est donc là un premier enseignement - trivial - du regard croisé que cette introduction veut porter sur ces regards disciplinaires : l'objet obésité n'est pas constitué de manière parfaitement similaire selon que c'est la clinique, l'anthropologie, la sociologie, l'économie ou l'épidémiologie qui s'en saisit. Et on voit bien la variété des points d'intérêt scientifique sur lesquels les différentes disciplines se fixent : l'on s'intéresse ici à la valence sociale, nécessairement historique, de l'obésité ; là, c'est l'explicitation des causes probables de sa survenue comme épidémie qui retient l'attention ; et ailleurs, c'est le désarroi du clinicien et son modeste équipement savant et cognitif qui font le coeur de l'analyse.
Il serait toutefois erroné de conclure à l'existence d'un Babel scientifique (après la disparition de la langue adamique) : les chercheurs, penseurs, et parfois également acteurs, que nous avons réunis ici, s'entendent et se comprennent. Si les médecins, les économistes et les épidémiologistes ont tendance à caler leur définition sur une norme quantitative (approchée par l'indice de masse corporelle [IMC], quand les politistes, anthropologues et sociologues (en tout cas, ceux que nous avons convoqués) tiennent plus volontiers pour obésité ce que les agents sociaux conçoivent comme telle, tous s'accordent à reconnaître qu'il s'agit là d'un phénomène social dont l'importance politique se manifeste dans au moins trois dimensions principales : sa résonance symbolique et la force sociale du stigmate qui lui est attaché ; sa considérable prévalence et sa qualification en épidémie ; enfin, son récent et rapide triomphe sur l'agenda public. Trois dimensions qui organisent cette introduction.
Présentation de l'éditeur :
"Séminaires"
une collection proposée par la chaire Santé de Sciences Po & le Centre d'analyse des politiques publiques de santé de l'École des hautes études en santé publique
Si sa stigmatisation est ancienne, le fait que l'obésité soit perçue comme un problème majeur de santé publique est d'occurrence récente. Pourtant, de nombreuses interrogations restent en suspens et toutes les controverses ne sont pas closes. Quelle est l'ampleur réelle du phénomène et la mesure-t-on avec les «bons» instruments ? Peut-on se mettre d'accord sur ses principaux déterminants ? L'augmentation du nombre d'individus en surpoids ou obèses suffit-elle à expliquer l'inscription de l'obésité sur l'agenda public et le déploiement de toutes ces politiques et mesures ? Quelles interventions sont possibles, et lesquelles sont en réalité privilégiées ? Quelles en sont les conséquences sur le phénomène, les individus et les relations qu'ils nouent entre eux ?
Réalisé avec le soutien de la chaire Santé de Sciences Po et du CAPPS de l'EHESP, le présent ouvrage entend, si ce n'est apporter de réponses définitives à ces questions, contribuer à les éclairer par des analyses stimulantes. Il réunit, à cette fin, les regards particuliers que portent sur l'obésité, de manière croisée, la médecine, l'épidémiologie, la science politique, la sociologie, l'économie et l'anthropologie.
Les différents spécialistes qui s'y expriment pointent la complexité du phénomène, la variété des processus et mécanismes générateurs tenus pour responsable de cette «épidémie mondiale», mais ils insistent aussi sur les inégalités sociales face à l'obésité. Ces différentes contributions mettent finalement en évidence que les politiques de prévention menées jusqu'ici misent en priorité sur la responsabilisation d'individus conçus comme autonomes et rationnels, tout en en soulignant également les limites.
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