Extrait :
La nuit elle entendait les chevaux
C'était quand elle l'attendait, sans doute était-ce les jours où elle l'attendait, quand, ayant reçu la lettre qui annonçait sa venue et prenant l'une des chaises du corridor, elle allait s'installer dehors pour l'attendre, tirant la chaise sur l'herbe au bas du perron elle s'asseyait à l'ombre des chênes, et un peu de soleil passait entre les branches, jouant sur les graviers et le buis des massifs, les fleurs au pied de l'arbre. Il la trouvait là quand il arrivait, assise sur cette chaise devant le pavillon, immobile et les mains croisées dans le pli des jupes, ces robes grises ou brunes toujours les mêmes, avec ce chapeau qu'on lui voyait sur les photos, de la même indéfinissable couleur et que dans les premières années, leur mère, assurant qu'elle en aurait besoin, lui faisait parvenir, elle était là immobile et silencieuse, et guettant l'instant qu'il paraîtrait dans le haut du sentier, le petit chemin escarpé par où il monterait depuis la place plantée d'arbres où l'on garait les voitures, guettant ce moment tandis que déjà elle pensait à ce qu'elle lui dirait, à tout le temps qu'elle ne l'avait pas vu, des mois, des saisons entières, l'été ou le printemps d'avant, et bien davantage encore quand des années passaient sans qu'il fît le voyage. Et alors sortant de sa poche un carnet elle le feuilletait et cherchait les pages et les listes, énumérées les unes au-dessous des autres les dates et les saisons qu'elle avait pris l'habitude de noter, année après année ayant marqué là ce qu'il y avait à marquer de jours, d'événements ou de lettres qu'elle recevait ; même là-bas à Montdevergues où il se passait si peu de choses elle gardait cette habitude, demandant encore de quoi écrire, du papier pour les lettres et un carnet dans lequel parfois on la voyait prendre des notes, elle avait, disait-elle, besoin de carnets, et de marquer ce qu'il y avait à marquer du temps qui passait
Présentation de l'éditeur :
Une vieille femme assise sur une chaise dans un parc. Elle attend. Le parc est celui de l'asile de Montdevergues, et l'homme qu'elle attend est son frère. Il s'appelle Paul Claudel. Elle, donc, serait Camille. Trente années dans le parc, près d'Avignon. Présent, passé, tout se mêlerait dans la grande lumière de là-bas, et se rejoindrait. De l'amour et de la beauté. De la haine. De l'abandon. Et de ce que c'est que la fin des choses quand, de si près, depuis si longtemps, elle chemine près de vous, silencieuse et poignante. Avec ce récit fervent et grave, la langue de Michèle Desbordes atteint son point d'excellence pour nous dire la tragédie calme de l'être aux limites de soi
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