Extrait :
Une maison aimée dès l'enfance
LES VACANCES DES ENFANTS SE TERMINENT. Leurs parents sont venus les chercher. Pour voir partir la dernière voiture, je suis sortie de la maison par le côté de la cuisine. Et voilà que, en rentrant, du seuil de cette cuisine subitement désertée, je revois une scène de mon enfance.
Assise là, près de l'évier, je regarde Marie Le Roux qui, avant de les enfourner, remet soigneusement à chacune des tomates farcies rangées dans l'immense plat de terre vernissée son petit chapeau rouge. Elle a, pour ce faire, remonté sur son front creusé de rides profondes ses lunettes qui d'ordinaire barrent très bas son grand nez. Je lui demande pourquoi. Marie Le Roux est plus à l'aise en breton qu'en français. Elle ne comprend sans doute pas ma question car elle me répond : «Ce que tu dis, Coco ?».
" Elle appelle aussi Coco mes cousins et mon frère. Mais elle se méfie des garçons, qui n'ont pas le droit de s'asseoir dans la cuisine, elle les en chasse d'un coup de torchon avec une formule ramassée : «Va t'en aller». Seule fille de la bande, j'ai tous les droits. J'apprends pourtant ce matin-là que l'on ne reçoit pas toujours des grandes personnes la réponse espérée.
L'image de Marie Le Roux est si nette que j'ai peine à penser que plus de trois quarts de siècle se sont écoulés depuis ce matin de 1929 où je l'ai enregistrée.
Quand Marie Le Roux est morte, plusieurs années plus tard, la petite fille qui l'aimait bien a pleuré à son enterrement. Elle-même est devenue une vieille dame qui voit mal le présent mais qui n'a qu'à fermer les yeux pour revoir les couleurs du passé, et qui a le bonheur, rare aujourd'hui, de vivre dans une maison qu'elle a aimée dès l'enfance.
Elle pense à ceux dont la maison a disparu, détruite par la guerre ou par quelque séisme politique ou social.
À ceux que l'on a arrachés à leur maison pour des raisons où le sentiment n'entrait pas.
À ceux qui s'en sont arrachés eux-mêmes... car il faut être raisonnable.
À ceux qu'une vie «à changements» a logés parfois mal, parfois bien ou même très bien, mais dans des lieux où ils n'ont pas pris racine.
À ceux aussi qui ont eu des adresses stables et parfois excellentes, mais dans des immeubles que l'on ne peut appeler maisons.
Que ceux-là qui feuilletteront ces pages veuillent bien croire qu'en les écrivant, elle aura pensé à eux avec une sorte de tendresse.
Présentation de l'éditeur :
Le port d'attache ! Pas un navire qui n'en trimballe le nom d'océans lointains en escales exotiques. Le port d'attache est le lieu des retours, des carénages, des appareillages et des désarmements.
Votre maison, Marie-Madeleine Martinie, est nichée à deux pas de Lorient, port de guerre, de pêche et de plaisance. Un capitaine au Long Cours y mit sac à terre.
Beaucoup, à commencer par les vôtres, mais pas seulement, y ont trouvé leur port d'attache pour de grands carénages (feu au coin de la cheminée, thé, pain grillé, confidences), à l'aube de nouveaux départs (Singapour et autres Yokohama, chefs lieux de canton pour cette génération voyageuse), voire des désarmements (coups de tabac, exploits maritimes et autres naufrages déversés dans le coeur d'une Super Mamie, accueillante aux éclopés comme forme de radoub aux fortunes de mer).
Yachts superbes ou caboteurs rouillés, lecteurs perclus de hauts fonds et de pots au noir, nous sommes requinqués de la quille à la pomme de mat, parés pour le grand large.
Voilà un livre d'humour et d'amour, de tendresse et de finesse. Un livre attachant.
Marie-Madeleine MARTINIE
Femme de marin, mère de cinq enfants et grand-mère de vingt petits-enfants, longtemps enseigné le français et l'anglais dans le second cycle, ainsi que la caractérologie dans divers milieux institutionnels (instituteurs, assistantes sociales, etc.). Passionnée par tout ce qui a trait aux relations humaines - dans la famille surtout - elle s'est déjà fait connaître par plusieurs ouvrages. Elle a également collaboré pendant de nombreuses années à différents médias (revues, radios).
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