Extrait :
Hitler avait raison.
Elias White griffonna les trois mots sur un bloc en attendant l'arrivée des étudiants pour son cours de neuf heures et demie. Non, trop provocateur. Hitler avait-il raison ? Non. Cette forme d'interrogation dénotait un manque d'assurance, chose qu'il essayait de toujours éviter, autant dans son attitude que dans ses écrits. Et si Hitler avait eu raison ? Pas mal, mais ça pouvait être amélioré. Il fallait y réfléchir.
Elias essayait de décider d'un titre pour son dernier article, une analyse de soixante-quinze mille signes sur le comportement des Juifs dans l'Allemagne d'avant-guerre dont il était sûr à cent pour cent qu'elle serait retenue par l'Historical Review de Harvard. Il l'avait déjà expédiée et avait décidé de lui trouver un titre plus tard.
Tout est dans le titre. Elias le voulait suffisamment choquant pour que les professeurs de Harvard le remarquent et en discutent. Il voulait qu'ils soient impressionnés par le courage avec lequel il avançait des arguments qui défiaient le politiquement correct avec autant de virulence. Il imaginait la tête des professeurs, d'abord horrifiés, puis, à mesure qu'ils avanceraient dans la lecture, rassurés par son intelligence, son raisonnement et ses graphiques multicolores.
Elias voulait aussi que l'article soit repris par les sites web des Suprématistes blancs, pour qu'il puisse attaquer violemment l'interprétation erronée de ces méchants aux intentions malfaisantes. Cette sorte d'affrontement débouchait d'ordinaire sur le plus précieux des biens : l'attention des médias. Il se voyait déjà en train de défendre sa position sur CNN, protester avec Chris Mathews, échanger des sarcasmes amicaux avec Bill O'Reilly, peut-être même perdre son sang-froid et engueuler un Suprématiste blanc invité sur le plateau à présenter son point de vue. Les éditeurs de l'Historical Review recherchaient toujours ce genre de publicité, l'occasion de provoquer un débat animé, et le nom d'Elias White serait bientôt un parfait atout pour leurs projets.
Elias White était un jeune professeur d'histoire qui disait ce qu'il pensait, pas ce qu'on lui disait de penser. C'était un homme qui avait ses idées sur le nazisme, la haine, le pouvoir, et la nature humaine, pendant que d'autres discutaient pour savoir qui avait réellement inventé l'égreneuse de coton. Il n'avait pas peur des sujets sensibles. C'était un chercheur qui voyageait dans le monde entier pour ses articles provocateurs et stimulants. Et il obtiendrait une chaire.
L'article d'Elias partait de l'idée que la persécution des Juifs dans l'Allemagne nazie était en réalité une lutte de classes, une explosion de rancoeur d'Allemands de la classe ouvrière contre une catégorie de la population qu'ils voyaient comme une classe moyenne ou riche. White avait eu cette idée lors de vacances en Allemagne avec sa petite amie Ann, qui passait des entretiens en vue d'un programme d'études postdoctorales de six mois à l'université de Heidelberg. Il avait rôdé là, parmi les tas de livres qui sentaient le moisi et, en s'accroupissant comme pour chercher un document capital, alors qu'en fait il essayait de lorgner sous la jupe d'une étudiante allemande, il était tombé sur un carton de journaux intimes manuscrits.
Ces journaux avaient été donnés par des soldats allemands de la région ayant combattu pendant la Seconde Guerre mondiale, ils avaient été rassemblés par l'université et aimablement traduits en anglais par un étudiant allemand de troisième cycle en 1955. En attendant que la fille décroise les jambes, White s'était assis et avait parcouru le journal d'un officier d'artillerie, capturé le jour du débarquement allié, dont la jambe avait été amputée, sans raison, jugeait l'officier, par un médecin juif américain. Pendant sa convalescence en Angleterre, l'officier Heinz Werthal avait fulminé sur dix pages : les Juifs possédaient tout et on ne pouvait pas leur faire confiance. White comprit qu'il était tombé sur une mine d'or universitaire.
Les journaux se trouvaient dans un carton marqué «Mull», ce qui - White s'en souvenait après trois ans d'allemand au lycée - signifiait «poubelle». Il y avait trois autres cartons pleins de journaux intimes, de documents et d'écrits provenant de soldats, de femmes au foyer et de grands intellectuels allemands, tous prêts à partir à la décharge. L'étudiant de troisième cycle les avait tous traduits. Ils contenaient tous des imprécations nazies. C'était superbe.
Présentation de l'éditeur :
Dans une petite ville du New Hampshire, deux hommes se font face. Dixon, l'ex-taulard braqueur de banques et Elias, le professeur fasciné par les filles en socquettes et le IIIe Reich. Un pistolet automatique les sépare. Leur vision de la vie et des hommes aussi. Le premier rêve d'une ferme tranquille dans l'Alberta. Le second d'une ascension valorisante dans l'establishment universitaire. Condamnés par les circonstances à cohabiter, ils se jaugent avec méfiance. D'ailleurs, à qui peut-on réellement se fier dans une Amérique régie par l'argent et le cynisme ?
Iain Levison, né en Ecosse, a grandi aux États-Unis et vit en Caroline du Nord. À la fin de son parcours universitaire, il a exercé toutes sortes de métiers - une expérience qu'il relate dans le récit Tribulations d'un précaire. Son premier roman, Un petit boulot, traduit dans plusieurs pays, a été très remarqué par la presse et le public. Ce succès et celui de son second roman, Une canaille et demie, lui ont permis de réduire considérablement son activité de menuisier.
"Une charge jubilatoire contre le cynisme, l'imposture et le culte de l'argent."
Paris Match
"Iain Levison s'impose décidément comme un grand nom du roman noir."
Le Figaro littéraire
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