Extrait :
Une Droite «capitularde» et pacifiste
Renouvin enseignait qu' «il est toujours difficile d'apercevoir un lien précis entre la politique intérieure et la politique extérieure des États». «Toujours» ? L'affirmation me semble imprudente. Lorsqu'en avril 1792, par exemple, les Girondins firent déclarer la guerre à l'Autriche, les raisons qu'ils avaient d'agir ainsi sont aujourd'hui sans ambiguïté. L'Assemblée constituante avait conjuré la banqueroute, à l'automne 1789, en confisquant les biens du clergé estimés à quelque trois milliards et demi ; à l'automne 1791, deux milliards, ou presque, d'assignats étaient déjà en circulation ; leur gage, constitué par ces «biens» devenus «nationaux», s'amenuisait ; commençait la dépréciation de ce papier-monnaie ; autrement dit la banqueroute de l'État redevenait menaçante et il fallait à tout prix se procurer de l'argent frais. Où en trouver ? Pas de problème. Les riches provinces autrichiennes, de l'autre côté de la frontière, au nord et à l'est, quelles belles proies ! Narbonne, le ministre de la Guerre, est explicite à souhait, le 14 décembre ; une nécessité pour nous, dit-il, la guerre à l'Autriche : «le sort des créanciers de l'État en dépend». Le prix du pain, d'autre part, n'a pas été étranger à la facilité avec laquelle les opérateurs bourgeois ont pu se servir, le 14 juillet 1789, contre leurs rivaux aristocrates, du bélier populaire. Après une baisse en 1790, le pain redevenait cher et l'agitation reprenait chez les exploités des campagnes et des manufactures ; ils parlaient dangereusement de «maximum», c'est-à-dire d'une fixation, par les autorités, du prix de vente que ne devrait pas dépasser la «miche» - le pain de quatre livres, nourriture de base des travailleurs. Les Girondins s'opposent absolument au «maximum». «Tout ce que peut et doit faire l'Etat en matière économique, professait Roland, c'est déclarer qu'il ne saurait, en aucun cas, intervenir.» Liberté d'abord ; et nul n'ignore quelle passion pour la liberté animait les Girondins. La liberté économique - le «libéralisme» - était pour eux un dogme. Les marges bénéficiaires sont sacrées. En mars 1792, une émeute d'affamés éclate à Étampes ; le maire (un industriel, un tanneur) est tué. Il n'y a plus une minute à perdre pour cette diversion nationale dont la guerre fournit le bienfait. C'est ce qu'avait indiqué Brissot, dès le 29 décembre 1791, lorsqu'il s'était écrié, limpide : «La guerre est indispensable à nos finances et à la tranquillité intérieure.» En ce temps-là, les meneurs du jeu n'avaient pas encore appris l'art du vocabulaire et l'importance du choix des mots. Indécente nudité du langage que corrigera, au xix«siècle et au-delà, le souci de la bienséance.
La guerre de 1792, cette guerre d'agression, combattue en vain par Robespierre, fut donc, et ouvertement, décidée pour des motifs de politique intérieure. Autre exemple d'intentions flagrantes, ce texte remarquable du Correspondant, 17 mai 1848 : «Parmi les moyens propres à dissoudre l'accumulation des prolétaires que des promesses exaltent et à qui le travail répugne [ce sont les «ateliers nationaux» qui sont ici visés par la revue catholique, ces ouvriers des «ateliers nationaux» à qui Marie, en dépit de leurs réclamations, interdisait tout travail productif afin de ne pas nuire à la «libre entreprise»], beaucoup de personnes mettent au premier rang l'avantage qu'on aurait à déverser dans une guerre étrangère le trop-plein de la population industrielle.» Un instant, en effet, Montalembert et ses amis caressèrent l'idée, côté Pologne, de cette solution, mais Falloux trouva une autre formule, plus simple et plus rapide, celle du massacre, sur place, des pauvres ; et ce furent les Journées de Juin.
Présentation de l'éditeur :
La droite française, nous montre Henri Guillemin, « pacifiste » de 1871 à 1888 environ, chauvine et belliciste ensuite pendant cinquante ans, redevient à partir de 1936 surtout, férue de paix à outrance, de non-interventionnisme, et tout cela dans le constant et unique souci de sauvegarder ses privilèges. Après avoir capitulé face à la Prusse en 1871 pour mieux écraser la révolte populaire de La Commune, cette droite poussera à la guerre de 1914 pour les mêmes raisons « d ordre social ». Enfin, c est bien pour faire expier le Front populaire aux classes laborieuses, que Pétain (le vainqueur de Verdun !) leur impose son ordre nouveau dans l ombre protectrice d Hitler. Un livre passionnant, révélateur et salubre.
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