Présentation de l'éditeur :
Dans sa préface aux Chroniques de la montagne, Charles Dantzig, définit Vialatte comme un émerveillé de la création, qui aime «les choses grandes et magnifiques […]. Les choses nous plaisent parce qu’elles sont belles et incroyables ; tel est le monde pour un œil naïf qui n’y cherche que des images». Ces images, nous avons décidé de leur donner corps dans un bestiaire inattendu, qui va de la plus tendre humanité à la plus vive drôlerie, de la chaisière au pou, de l’Auvergnat à l’ornithorynque, etc.
Le trait d’Honoré – des dessins de Charlie Hebdo à la couverture de Rencontres du septième art, de Kitano, chez Arléa, et surtout les fameux Cent Rébus littéraires qui ont connu un vif succès en décembre de l'année dernière – participe de cette même approche mystérieuse de la création : on redécouvre, sous une forme nouvelle, ce qu’on croyait déjà connaître. On trouvera ci-dessous quelques individus de notre bestiaire fabuleux :
Lion : «On dit que le Lion de Denfert dévore les sergents de ville ! Vous êtes devant lui ; à ses pieds un agent ; le brouillard tombe ; vous ne voyez plus rien ; le brouillard passe ; il n’y a plus de sergent de ville. On n’ose conclure mais on reste effrayé.»
Pou : «Le pou est scientifique, sa crotte est médicale, ses amours sont philosophiques. Le schéma complet de son appareil reproducteur ressemble à un plan du métro, celui de son système trachéen à une toile de peintre d’avant-garde…»
Marabout. «Le marabout a des mollets en roseau sec, un petit manteau noir “pour tout aller”, et un tour de cou en lapin jaune. On le voit de dos : c’est la grand-mère. Elle va au Casino ou à la première messe. Mais tout à coup elle écarte le bras et elle se tape sur la fesse gauche ; quelle affreuse familiarité ! Elle croise les mains derrière le dos sur sa jaquette : c’est le notaire. Il réfléchit aux difficultés de la question. C’est le surveillant de la récréation de quatre heures. Il tourne un peu la tête à droite et découvre son crâne en noix de coco couvert de fibre végétale, son bec en bois, comme un faux nez (c’est Croquignol), son œil méfiant, savant, légèrement effaré, d’agriculteur en moyenne altitude : c’est le camarade de régiment, avec lequel on a fait tant de parties, le voisin de lit qu’on avait oublié ; et en même temps plusieurs grands hommes du Petit Larousse, qui ont le nez osseux et la tempe un peu creuse, des cheveux follets et une grande pomme d’Adam ; qui sont pour l’ordre et l’avarice, les proverbes ruraux, les progrès de l’industrie ; des hommes utiles ; secs et utiles ; utiles et un peu décharnés. Tel est le marabout du Zoo de Vincennes. Charmant et caricatural. J’en ai connu de plus solennels, de plus pensifs, de plus érémitiques, qui avaient l’air de saints du désert.»
Extrait :
Loup
IL n'y aurait plus de loup. On a été bien ennuyé. D'autant plus que dans le dictionnaire on en trouve encore de très beaux. Il assure que le loup français naît le plus souvent à Angoulême. On ne sait pas où il vote, où il achète son pain, mais on sait qu'il vient d'Angoulême. Ce qui fait voir qu'il est bien français.
Sans le loup pas de froid de loup, sans froid de loup pas d'hiver. Privée du loup, la petite exploitation rurale, réduite à quelques musaraignes dans un paysage désolé, serait sans aventure et sans vrai pittoresque. Les conteurs l'ont si bien compris qu'ils font du loup, par pure reconnaissance, un loup mythologique, une espèce de sur-loup qui fait peur au-dessus de ses moyens. Le loup en a d'ailleurs beaucoup, il est très excitant, il est couvert de grands poils dont on fait des descentes de lit ; tout rêche, hirsute, et mauvais comme la gale ; avec une grande mâchoire longue comme un jour sans pain, qui lui permet de mâcher des gens de diamètre considérable, des charcutiers dans la force de l'âge, des poètes enrichis, des escrocs respectés, des vendeuses de grands magasins.
On ne parle pas assez du loup. Rien n'est plus passionnant que le loup. Le loup est parfaitement hirsute. Le loup est important. La zoologie le réclame, l'hiver le veut, le frisson le suppose. C'est une des grandes nécessités de l'histoire, du folklore et de l'esprit humain. Un loup mangeant méthodiquement un sous-préfet en uniforme, ou avalant à la sauvette un petit fonctionnaire rural, dans un site nettement bocager, coupé de ruisseaux et d'ombrages, est une des choses les plus décoratives qu'un graveur puisse imaginer. Surtout quand il les mange en large.
Telle est la vie ardente du loup. Du moins dans la littérature.
Le loup des légendes représente une réaction inévitable du bon sens, une exigence du paysage, un postulat de la sensibilité. Le loup peut très bien se passer des hommes, l'homme ne peut pas se passer du loup. Où serait le plaisir ?
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