Présentation de l'éditeur :
Le directeur de la prison : Je vous pose encore une fois la question, à tous : pourquoi vous avez ri bruyamment et sans cesse jusqu'à trois heures du matin ?... Vous avez raconté des blagues politiques, n'est-ce pas ?
Le philosophe : Non.
L'ancien ministre : Non.
L'ancien magistrat : Pas du tout.
Le poète : C'est ma faute, j'ai raconté une pièce.
Le directeur de la prison : Une pièce ?
Le poète : Oui, une pièce de théâtre.
Le directeur de la prison : Une pièce de... quoi ?
Le poète : Une pièce de théâtre. Qui se joue au théâtre.
Le directeur de la prison : Vous quatre, vous vous moquez de moi.
Le philosophe : Camarade Commandant, on ne se moque jamais de vous. On n'oserait pas se moquer de ceux qui assurent notre rééducation...
On peut enfermer les artistes et les poètes en prison ; mais quoi qu'on fasse, on ne peut bâillonner leur capacité à transcender les interdits pour récupérer, à leur manière, l'énorme incongruité de la situation.
Dans une Roumanie communiste où l'absurde quotidien rivalisait avec le théâtre de l'absurde, les geôles du stalinisme à la roumaine n'ont pas échappé à la règle.
Matéi Visniec veut rendre ici un hommage à un de ses pères qui lui a donné, sans le savoir, le signal fort d'une liberté absolue d'écrire et un antidote contre la peur. Car plus que tout système philosophique ou livre de sagesse, c'est Eugène Ionesco qui l'a aidé à comprendre l'homme et ses contradictions, l'âme humaine, la vie et le monde.
Né en Roumanie, Matéi Visniec vit et travaille en France depuis 1987. Ses pièces sont aujourd'hui éditées, traduites en plusieurs langues et surtout montées et remontées en France, en Roumanie, et dans une vingtaine d'autres pays.
Extrait :
Extrait de l'avant-propos de Matéi Visniec
Cette pièce est née du désir de rendre hommage à Eugène Ionesco au moment du centenaire de sa naissance.
A l'époque où je découvrais les pièces de Ionesco, dans une Roumanie communiste où l'absurde quotidien rivalisait avec le théâtre de l'absurde, je découvrais en effet la liberté absolue et un outil extrêmement efficace de lutte contre l'oppression, la bêtise et le dogmatisme idéologique. Après avoir lu les pièces de Ionesco, je n'ai jamais eu peur de rien dans ma vie. Plus que tout système philosophique ou livre de sagesse, c'est Ionesco qui m'a aidé à comprendre l'homme et ses contradictions, l'âme humaine, la vie et le monde.
Mais je voudrais aussi dédier cette pièce à tous les écrivains de l'Europe de l'Est qui se sont battus contre la "littérature d'État" et contre "l'art officiel", parfois au prix de terribles épreuves et souffrances.
En tant qu'hommage à Ionesco, cette pièce évoque naturellement son univers et surtout les personnages et les situations dramatiques de plusieurs de ses pièces (La cantatrice chauve, La leçon, Les chaises. Rhinocéros...)
La scène 4 et la scène 9 sont un clin d'oeil littéraire à la manière dont Ionesco fait "entrer" ses personnages invisibles dans la pièce Les chaises.
Dans la scène supplémentaire 2, j'ai fait mourir un doctorant de la même façon que l'élève dans la pièce de Ionesco La leçon.
Enfin, je me suis permis d'imaginer un rêve (c'est le rêve de mon personnage principal, poète et traducteur des pièces de Ionesco) où La cantatrice chauve et La leçon fusionnent... Pour marquer le fait que cette scène (20) est une allusion et à la fois une citation littéraire, j'ai utilisé les caractères d'une police différente en petites capitales.
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