Extrait :
LA RAVAGEUSE
De Saint-Chély-d'Apcher à Saint-Paul-le-Froid en passant par Langogne, la femme-louve avait écume la belle contrée de Margeride. Dans des temps pas si anciens, d'aucuns l'avaient aperçue, vêtue de peaux de bêtes, farouche insolente aux dents éclatantes.
Beaucoup l'avaient entendue, riant de façon sardonique et hurlant d'une voix fracassante qui rebondissait entre les montagnes jusqu'aux plateaux lunaires de l'Aubrac. Les paysans lozériens, qui pour certains manquaient déjà cruellement de femmes, la redoutaient mais aussi l'espéraient.
Un jour ou l'autre, la belle prédatrice, qui n'était pas regardante sur le confort, viendrait les rejoindre dans leur alcôve solitaire ou dans leur grange à foin.
Et en effet, tôt ou tard, de préférence au milieu de la nuit et aux changements de lune, Gévaudane-Esméralda- Lupa-Louzero (on donnait plusieurs noms à cette aristo cruella vaurienne) arrivait et telle une fangeouse (un marécage de tourbe) aspirait et engloutissait au creux de ses jambes de faon les Baptistes et autres Victoriens, absorbés corps et âme à la façon des taureaux dans les herbages des tourbières (c'était arrivé plus d'une fois à quelques-uns de ces fauves, morts enlisés après s'être débattus en vain dans la fange).
Ainsi Gévaudane, la Loreleï des «pâtures» de Margeride perdit plus d'un berger dans sa fourrure lupienne, toison pubienne sublime et maléfique d'où ses proies ressortaient vivantes, mais marquées à vie par cet accouplement dominateur. Elle disparaissait en laissant derrière elle un souvenir odorant de pierre à feu redoutable et envoûtant.
«Au suivant !» criait Cruella en s'enfuyant entre genêts et calvaires ou croix de granit. Elle ne passait jamais deux fois chez les mêmes, les laissant se morfondre dans le souvenir brûlant d'une étreinte unique et sans lendemain. Veufs à jamais, donc. Mais ils avaient au moins connu une fois dans leur existence de braves solitaires la morsure indélébile d'une si belle sauvageonne.
Présentation de l'éditeur :
La vie à la campagne ou à la montagne est rude et solitaire pour de nombreux hommes, condamnés à un célibat forcé. La Lozère, où l'auteur a ses racines, n'échappe pas à cette tendance. N'y aurait-il de solution que romanesque ? Toujours est-il que la Gévaudane, héroïne de fiction qui traverse le temps, vole dans ce conte agreste au secours des solitudes du haut-plateau de Margeride sans amour dans le pré.
Au gré de ses expéditions torrides, elle dispense le réconfort de ses charmes tout en apaisant à grand-peine ses appétits charnels. En dépit de ses exploits toujours librement consentis, la Belle, bien loin de la Bête, reste pure, voire assez romantique, dévouée corps et âme à son vieux pays du Gévaudan.
Journaliste et producteur, Gérard Saint-Paul est le cofondateur de la chaîne France 24, Il a été correspondant à Bonn, Washington et Berlin. Il a dirigé la politique internationale sur TF1 et l'Information de FR3, RMC, LCP et Arte. Entre ses reportages au long cours, il a écrit : La Ligne bleue du Rhin (Mengès, 1979), Un mirage d'Amérique (éd. Souffles, 1989), Le Rendez-vous de Potsdamer Platz (éd. du Bon Albert, 1999). Il enseigne le journalisme à Sciences-Po.
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