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Extrait :
La première fois où je la vis, quatre ans plus tôt, je fus ébloui. Elle n'avait, peut-être, que treize ans. Devant sa belle maison blanche, au bord de la rivière, au coin du vieux pont, munie d'un grand balai de jardin, elle délivrait avec application les pavés de la rue de quelques débris laissés par les carrioles du marché. Le soin qu'elle apportait à cet humble travail, l'élégance de ses gestes, sa beauté saisissante dans sa robe de cretonne à fleurs, toute la perfection de ce tableau m'avait frappé d'admiration. Jamais je n'aurais osé imaginer qu'il pût surgir dans ce triste village.
Depuis lors, en dévalant chaque jour de ma colline pour gagner la librairie de la presse, je ne manquais plus, le coeur battant, d'emprunter la Vieille Rue. En passant devant la porte cochère, je ralentissais ma bicyclette avec l'espoir de l'apercevoir et je souffrais, en mon for intérieur, de la stupidité des moeurs de ce petit bourg, qui ne permettaient pas de nouer, sans présentation, les relations les plus naturelles. La timidité et la crainte d'enfreindre les convenances me retenaient. Je ne l'apercevais seulement que de loin, toujours accompagnée de sa mère, au sortir de la grand-messe du dimanche ou le lendemain, dans la foule, sous la vieille halle en bois du XVe siècle parmi les fermiers venus vendre leur beurre, leurs oeufs et leurs volailles.
Parfois, de temps à autre, je la découvrais, accoudée au balcon de sa fenêtre du premier étage, et l'émotion que je ressentais alors était si indicible que je m'enfuyais, plein d'allégresse, pour ne pas la révéler aux badauds qui auraient pu s'étonner de ma présence prolongée à cet endroit. Cette adoration secrète me comblait, en vérité, de bonheur car j'éprouvais sans doute le sentiment d'être seul au monde à vivre d'un tel culte. Le temps de mes vacances était immobilisé. Je n'imaginais pas qu'il pût être différent, un jour, de la béatitude où m'avait plongé cette divine apparition. Lorsque j'interrompais les longues heures de lecture dans la vaste bibliothèque du château de mon grand-père, lorsque je quittais la fréquentation passionnée des Mémoires de Caulaincourt, de Villèle, de Rémusat et de Mme de Boigne, c'était uniquement pour connaître les secondes ineffables, où je défilerais, Vieille Rue, en silence sous le balcon d'Isabelle. Rien ne m'importait davantage. Je ne connaissais rien d'elle hormis ce prénom recueilli au hasard d'une conversation de commères à l'épicerie du village. Je ne connaissais rien d'elle qui pût la faire descendre de son piédestal, amenuiser l'image féerique que je me faisais d'elle. Je m'enivrais de ce que ma passion demeurât inconnue, et que rien ne me contraignît à la déclarer. Ce trésor d'amour entre mes mains me plongeait dans un état de grâce qui ne réclamait aucun accomplissement, nulle initiative qui pût être à la hauteur de pareil événement. J'étais dans l'éternité de l'attente bienheureuse que rien ne vient corrompre.
Durant ces étés que je passais au Plessis-Ménard auprès de mes grands-parents, je me tenais dans l'extrême solitude qui convenait à la préparation de mon examen de sortie à Sciences Po et d'entrée à l'ENA. Le calme et la tranquillité de mon travail n'étaient troublés que par le battement des balanciers et le tintement de la sonnerie des pendules. Je refusais de participer aux nombreux dîners-bridges qui réunissaient les grands et petits hobereaux du coin, les Robien, Quatrelorges, Penfentenyo, Guébriant, Penanster et compagnie. Je me recueillais dans une retraite studieuse où la lecture des Mémoires diplomatiques de Saint-Aulaire, Delcassé, Margerie, François-Poncet et Wladimir d'Ormesson me faisait oublier la fuite des jours avant les examens d'octobre : je ne l'interrompais qu'une ou deux fois, le matin et le soir, pour aller marcher, sous la haute voûte de l'allée de chênes tricentenaires, jusqu'à l'entrée de la propriété. Là je m'arrêtais. (...)
Présentation de l'éditeur :
Depuis lors, en dévalant chaque jour de ma colline pour gagner la librairie de la presse, je ne manquais plus, le coeur battant, d'emprunter la Vieille Rue. En passant devant la porte cochère, je ralentissais ma bicyclette avec l'espoir de l'apercevoir et je souffrais, en mon for intérieur, de la stupidité des moeurs de ce petit bourg, qui ne permettaient pas de nouer, sans présentation, les relations les plus naturelles. La timidité et la crainte d'enfreindre les convenances me retenaient. Je ne l'apercevais seulement que de loin, toujours accompagnée de sa mère, au sortir de la grand-messe du dimanche ou le lendemain, dans la foule, sous la vieille halle en bois du XVe siècle parmi les fermiers venus vendre leur beurre, leurs oeufs et leurs volailles.
Parfois, de temps à autre, je la découvrais, accoudée au balcon de sa fenêtre du premier étage, et l'émotion que je ressentais alors était si indicible que je m'enfuyais, plein d'allégresse, pour ne pas la révéler aux badauds qui auraient pu s'étonner de ma présence prolongée à cet endroit. Cette adoration secrète me comblait, en vérité, de bonheur car j'éprouvais sans doute le sentiment d'être seul au monde à vivre d'un tel culte. Le temps de mes vacances était immobilisé. Je n'imaginais pas qu'il pût être différent, un jour, de la béatitude où m'avait plongé cette divine apparition. Lorsque j'interrompais les longues heures de lecture dans la vaste bibliothèque du château de mon grand-père, lorsque je quittais la fréquentation passionnée des Mémoires de Caulaincourt, de Villèle, de Rémusat et de Mme de Boigne, c'était uniquement pour connaître les secondes ineffables, où je défilerais, Vieille Rue, en silence sous le balcon d'Isabelle. Rien ne m'importait davantage. Je ne connaissais rien d'elle hormis ce prénom recueilli au hasard d'une conversation de commères à l'épicerie du village. Je ne connaissais rien d'elle qui pût la faire descendre de son piédestal, amenuiser l'image féerique que je me faisais d'elle. Je m'enivrais de ce que ma passion demeurât inconnue, et que rien ne me contraignît à la déclarer. Ce trésor d'amour entre mes mains me plongeait dans un état de grâce qui ne réclamait aucun accomplissement, nulle initiative qui pût être à la hauteur de pareil événement. J'étais dans l'éternité de l'attente bienheureuse que rien ne vient corrompre.
Durant ces étés que je passais au Plessis-Ménard auprès de mes grands-parents, je me tenais dans l'extrême solitude qui convenait à la préparation de mon examen de sortie à Sciences Po et d'entrée à l'ENA. Le calme et la tranquillité de mon travail n'étaient troublés que par le battement des balanciers et le tintement de la sonnerie des pendules. Je refusais de participer aux nombreux dîners-bridges qui réunissaient les grands et petits hobereaux du coin, les Robien, Quatrelorges, Penfentenyo, Guébriant, Penanster et compagnie. Je me recueillais dans une retraite studieuse où la lecture des Mémoires diplomatiques de Saint-Aulaire, Delcassé, Margerie, François-Poncet et Wladimir d'Ormesson me faisait oublier la fuite des jours avant les examens d'octobre : je ne l'interrompais qu'une ou deux fois, le matin et le soir, pour aller marcher, sous la haute voûte de l'allée de chênes tricentenaires, jusqu'à l'entrée de la propriété. Là je m'arrêtais. (...)
La mode est aux croisières...
Dix jours durant, le Night and Day fait escale dans les ports célèbres de la Méditerranée occidentale avec à son bord deux cents grands patrons et cinquante conférenciers de haut rang, chargés de traiter pour eux les problèmes de l'heure.
Delphine, la directrice d'une société de relations publiques qui a organisé ce voyage, fait découvrir à un jeune passager de dernière minute un monde très différent de sa Bretagne natale.
Au fil des jours, elle lui apprend tous les secrets des grands noms de cette croisière. Les secrets des ententes industrielles. Ceux des accords de prix. Ceux des commissions et des rétrocommissions. Ceux des pools d'intervention financière sur les marchés boursiers. Ceux des introductions à la cote. Ceux des pools de garantie des émissions d'actions et d'obligations. Ceux des techniques des take over bid et des leverage buy out. Ceux des régies publicitaires de la presse. Ceux des émissaires clandestins du Vatican... Et beaucoup d'autres choses dont on ne parle qu'en coulisse et qui ne s'écrivent jamais.
À part deux ou trois personnages principaux, les autres apparaissent ici sous leur vrai nom et parlent librement des faits qu'ils ont vécus mais soigneusement dissimulés ou travestis. Les réalités l'emportent alors de loin sur les plus audacieuses fictions.
Jean-Luc Gendry, ancien élève de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'École pratique des hautes études, s'est consacré dès 1950 à l'étude des marchés financiers, à la gestion des capitaux institutionnels et à l'activité de banques d'affaires.
Il s'est attaché à l'écriture de romans historiques reposant, pour la période 1939-1945, sur de nombreux entretiens avec les grands acteurs politiques et de nombreux documents inédits.
Dix jours durant, le Night and Day fait escale dans les ports célèbres de la Méditerranée occidentale avec à son bord deux cents grands patrons et cinquante conférenciers de haut rang, chargés de traiter pour eux les problèmes de l'heure.
Delphine, la directrice d'une société de relations publiques qui a organisé ce voyage, fait découvrir à un jeune passager de dernière minute un monde très différent de sa Bretagne natale.
Au fil des jours, elle lui apprend tous les secrets des grands noms de cette croisière. Les secrets des ententes industrielles. Ceux des accords de prix. Ceux des commissions et des rétrocommissions. Ceux des pools d'intervention financière sur les marchés boursiers. Ceux des introductions à la cote. Ceux des pools de garantie des émissions d'actions et d'obligations. Ceux des techniques des take over bid et des leverage buy out. Ceux des régies publicitaires de la presse. Ceux des émissaires clandestins du Vatican... Et beaucoup d'autres choses dont on ne parle qu'en coulisse et qui ne s'écrivent jamais.
À part deux ou trois personnages principaux, les autres apparaissent ici sous leur vrai nom et parlent librement des faits qu'ils ont vécus mais soigneusement dissimulés ou travestis. Les réalités l'emportent alors de loin sur les plus audacieuses fictions.
Jean-Luc Gendry, ancien élève de l'Institut d'études politiques de Paris et de l'École pratique des hautes études, s'est consacré dès 1950 à l'étude des marchés financiers, à la gestion des capitaux institutionnels et à l'activité de banques d'affaires.
Il s'est attaché à l'écriture de romans historiques reposant, pour la période 1939-1945, sur de nombreux entretiens avec les grands acteurs politiques et de nombreux documents inédits.
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- ÉditeurB.DE FALLOIS
- Date d'édition2014
- ISBN 10 2877068609
- ISBN 13 9782877068604
- ReliurePaperback
- Nombre de pages316
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J'aimais tous vos secrets GENDRY-J L
Edité par
B.DE FALLOIS
(2014)
ISBN 10 : 2877068609
ISBN 13 : 9782877068604
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