Extrait :
Extrait de l'avant-propos de Marc Fumaroli de l'Académie française
Bernard de Fallois et moi-même avons le goût classique. Pour autant, la rareté de la poésie dans le catalogue de sa maison d'édition, fondée en 1987, ne signifie pas de sa part indifférence à la poésie, mais constat de sa disparition soudaine des Lettres françaises contemporaines, dès avant 1987. Dans ce silence de deuil gardé par cette maison d'édition, l'on ne peut mentionner que trois exceptions, les merveilleuses poésies pastichées de son regretté ami Henri Bellaunay, véritable rétrospective anthologique (et critique), non par la citation, mais par l'imitation à s'y tromper, de l'histoire de la poésie française. C'est encore Fallois qui a publié la fabuleuse anthologie commentée de la poésie française, oeuvre de la vie de Suzanne Julliard. Et puis, il fit récemment la surprise de publier les très beaux poèmes d'amour fou adressés par Paul Valéry à Jean Voilier, autant d'inédits quasi ignorés que Bernard a recopiés de sa main, d'après les manuscrits originaux que détient aujourd'hui une université japonaise, mais dont la fille de Jean Voilier avait heureusement conservé une photocopie. Recueil capital, où le vieux Valéry, pour la première et la dernière fois, possédé comme la Phèdre de Racine («C'est Vénus tout entière à sa proie attachée»), renonce à son rôle de poète officiel mallarméen et d'encyclopédiste de l'intelligence, renie La Jeune Parque et Le Cimetière marin et retrouve la simplicité du grand lyrisme amoureux, comme s'il avait enfin découvert, grâce à Madame Voilier, la conversion de la fille de Minos et de Pasiphaé, criant pour elle-même, en Polyeucte de l'Éros : «Que ces vains ornements, que ces voiles me pèsent», clef libératrice du goût français en matière poétique et artistique.
Que, depuis, Bernard de Fallois ait été séduit par un recueil manuscrit de poésies récentes de Michel Butor, que je lui avais vantées, qu'il ait décidé de les publier, cela n'est pas sans analogie avec sa publication de Corona & Coronilla, poésies chères au dernier Valéry, mais dédaignées par les spécialistes universitaires de son oeuvre. Comme les derniers poèmes de Valéry, ceux de Butor, en fin d'immense parcours de moderniste, peu orthodoxe, il est vrai, se retrouvent dans la lignée, que l'on croyait éteinte, des Villon, des Marot, des La Fontaine, des Verlaine, des Toulet, des Apollinaire.
Fallois et Butor, nés tous deux en 1926, viennent d'horizons différents, voire incompatibles. Fallois, proche des rebelles aux conformismes funestes d'après-guerre, notamment les fameux «hussards» de la revue La Table ronde et de l'hebdomadaire Arts, se trouvait aux antipodes, d'abord de Sartre l'engagé et de ses Temps modernes, revue où il avait affirmé d'emblée qu'elle publierait des idées, mais jamais de poèmes, puis de Jérôme Lindon, non moins engagé, à la tête des Éditions de Minuit. Lindon, et quelques complices doués, vite adoptés et adorés par la presse, Nathalie Sarraute (1900-1999), Alain Robbe-Grillet (1922-2008), Claude Simon (1913-2005), Michel Butor (1926), orchestrèrent un modernisme romanesque d'arrière-saison, affranchi des dernières conventions «traditionnelles» pour leur en substituer de nouvelles, fort arbitraires, et méritant, plus que le modernisme original du début du siècle, la caractérisation de Paulhan : «Terreur dans les lettres». Cette autre «avant-garde» plus ou moins autorisée de haut par Sartre et idolâtrée dans les universités américaines, fut bientôt suivie d'une ribambelle de talents plus menus, essentiellement occupés de théorie littéraire et de ce que Barthes appela le «degré zéro de l'écriture».
Présentation de l'éditeur :
Trente poèmes par l'auteur de La Modification, qui fut un des titres phares de l'école du «nouveau roman».
Michel Butor est connu du grand public comme étant l'auteur de La modification, mais après rompu en 1960 avec la forme romanesque. Michel Butor travaille avec des plasticiens et des musiciens. Il est traduit dans le monde entier. M.B. a fêté ses 82 ans. En attendant d'autres anniversaires il rassemble laborieusement ses Oeuvres complètes. Connu d'abord comme apprenti-romancier, il s'est lancé dans toutes sortes d'aventures littéraires, dont celle-ci.
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