Extrait :
Extrait de l'introduction de Christian Teurfs :
I. Corippe et la Johannide
Très peu de choses sont connues à propos de Corippe : Il semble avoir exercé la profession d'enseignant, peut-être de grammaticus à Constantine (voir Baldwin, 1978, p. 372-374). Même s'il n'était pas issu de l'entourage de l'empereur Justinien, à propos duquel Corippe fait d'ailleurs peu allusion, il fut peut-être le protégé du général Jean Troglita.
Après la mort de l'empereur, Corippe entra au service de son neveu et successeur Justin II, à qui il dédia un panégyrique (écrit de 566 à 568). Les dates de naissance et de mort de Corippe ne sont guère mieux connues. Toutefois, en se basant sur la chronologie de ses deux ouvrages conservés (la Johannide a été écrite vers 550 et l'Eloge de Justin II a été achevé en 568) et en tenant compte de ses connaissances littéraires et de son influence à la Cour de Constantinople, il est plausible que Corippe soit né au début du VIe siècle (vers 510 ?) et décédé vers le début du dernier tiers de ce même siècle (vers 570 ?). Bien que la Johannide soit caractérisée par un style emphatique propre à cette époque, l'admiration non modérée de Corippe pour Jean Troglita apparaît néanmoins sincère. Cet éloge d'un général et de l'empereur régnant est particulièrement exceptionnel alors que l'image impériale est à peine moins vénérée que celle de Dieu lui-même. Cette caractéristique ne se retrouve qu'un siècle auparavant chez Claudien, qui avait fait de Stilichon un général héroïque. Corippe ne tarit pas d'éloges pour un général qu'il considère comme l'ultime sauveur d'une Afrique romaine exsangue. Loin de ces préoccupations, l'empereur paraît lointain, sacré voire inaccessible, ce pour le général lui-même (Zarini, 1997, p. 225). Le but de la Johannide pourrait avoir été de réconcilier cette autorité presque inconnue avec une population plus que fatiguée par une reconquête interminable et périlleuse.
Face à une armée «romaine» souvent en rébellion et n'hésitant pas à s'allier, selon la circonstance, avec les anciens oppresseurs (voir la révolte de Stotzas), le désespoir des Romains d'Afrique se trouvait encore renforcé par l'autoritarisme de l'empereur, une pression fiscale croissante et des ingérences religieuses inopportunes (voir querelle des Trois Chapitres). C'est dans ce contexte extrêmement difficile que fut bien accueillie, autant par la population carthaginoise que par les autorités impériales, cette épopée épique (écrite par un Romain d'Afrique) glorifiant tant le courage de l'armée commandée par Jean Troglita que celui des civils face à la menace maure. Afin de rendre son oeuvre la plus populaire possible, Corippe employa de nombreux procédés littéraires adaptés au goût de l'époque. Son épopée se compose de 4 700 hexamètres sans compter les 50 à 100 vers perdus (relatant probablement l'adventus de Jean Troglita à Carthage) (voir Zarini, 1998, p. 169). Ce gigantisme s'inspire directement de Virgile et d'Homère. Quant à la gigantomachie des combats, elle accentue le caractère impressionnant de l'oeuvre et de son contenu. Lors de cette véritable croisade avant la lettre, le camp byzantin incarne évidemment les forces du Bien sans cesse assaillies par celles du Mal (les tribus maures).
On assiste alors au déploiement des effets de style rappelant la vision dualiste de Corippe :
- La Pax romana et la sérénité romaine face au caractère et à l'agitation parfois frénétique des Maures.
- La civilisation et le christianisme face aux ténèbres et au paganisme sauvage. L'épopée de Corippe n'est toutefois pas dénuée de nuances. L'impérialisme byzantin est parfois secoué par la rébellion d'une partie de l'armée tandis que les Maures peuvent se montrer loyaux envers l'empire et même exprimer une certaine romanité, comme le roi Cusina (voir Zarini, 1997, p. 222).
Même si la Johannide reste attachée à l'évolution stylistique du VIe siècle en omettant souvent, par exemple, les indications physiques des principaux personnages et en leur donnant une apparence irréaliste, elle reste une oeuvre originale dans cette Antiquité finissante car la mythologie est abondamment utilisée pour illustrer les actes des différents acteurs. Cette caractéristique reflète un certain archaïsme de l'art occidental préservé d'une certaine façon en Afrique par l'occupation vandale (voir Zarini, 1997, p. 227 et 235-238). A cet égard, la Johannide constitue l'ultime production littéraire de tradition gréco-romaine.
Présentation de l'éditeur :
LA JOHANNIDE OU SUR LES GUERRES DE LIBYE
Épopée traduite du latin datable de 550 apr. J.-C., célébrant la reconquête de l'Afrique du Nord par les Byzantins. Paul-Albert Février l'avait baptisée «la Chanson de Roland du Maghreb».
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