De notre envoyé spécial - Couverture souple

Trétiack, Philippe

Couverture souple

ISBN 10 : 2879299845 ISBN 13 : 9782879299846

Editeur : OLIVIER, 2015

A propos du livre

Extrait :

Pour faire comprendre la violence d'un combat, il suffirait, disait Samuel Fuller, qu'à chaque séance où l'on projette un film de guerre, un spectateur, pris au hasard, soit tué dans la salle. Je souscris. Quand on décide de vous remettre un prix censé honorer vos états de service sur les lignes de front, quand on vous congratule et qu'on vous tape dans le dos, le doute s'installe. Dans mon cas, il me taraude. Pour le dire simplement, je ne sais plus où j'en suis. Mes reportages de terrain sauront-ils trouver une place sous les lambris ? Faudra-t-il que les explosifs s'emparent des micros ? L'idée me traverse de muer cette réception mondaine en une apothéose d'artificiers, que le socle râpé durant des lustres se soulève et que planchers, tapis et convives dévissent, que l'atrocité leur saute à la gueule. Tout foutre en l'air, quel panache ! Entendons-nous, ce prix que tous convoitent, et qui me ravit, dans le même temps m'accuse. Je flaire le malentendu. Je vacille. En serais-je arrivé déjà au jour fatidique où l'on se dit : assez ? On a poussé la charrette, on l'a tirée, on en a marre. Le dos, les bras, tout ça vous lance. Il faut s'asseoir et repousser d'un coup de pied et les chaises et la table. Valse la vaisselle ! Pourtant, j'aimerais en être, tenir ma place, m'inscrire au Panthéon des reporters, m'enivrer d'un coude à coude. Ou, à défaut, mettre un peu d'ordre, ne pas partir sans avouer quelques remords.

A dix heures, il fait glauque, à quinze, il fait nuit. Dans l'intervalle, la lande prend une couleur whisky. L'absence de lumière dicte mon emploi du temps. À l'heure du thé, je suis confiné dans ma chambre d'hôtel encombrée de dentelles et de bibelots. Allongé, je lis Tout est illuminé, le premier roman de Jonathan Safran Foer. Au bout d'une trentaine de pages, dans un geste puéril et théâtral, je le jette contre le mur. L'atmosphère Loubavitch, sa pesanteur synagogale, ce côté chromo juif d'Ukraine aux chandelles m'insupporte. De retour à Paris, l'éditeur du roman s'enquiert de mes impressions. Je lui avoue, mal à l'aise, que j'ai balancé son chef-d'oeuvre. Je m'en explique. «Tu te trompes, me dit-il. Tu l'as lu comme du Chagall, c'est du Kandinsky.» J'en reprends la lecture et m'aperçois qu'il a raison. Tout est transfiguré, le livre est purifié. J'en suis ébloui et même soulagé. Il émerge de cet incident une révélation qui tient de la purge. Une porte s'est ouverte et ce Tout est illuminé résonne soudain comme un «Tout est éliminé». Le changement d'angle décrasse, le champ de bataille s'éclaircit. Le monde s'offre dans sa nudité fracassée. Je l'arpentais pour le découvrir, je l'arrosais de lumière, je le noyais. Je le surexposais. Ses stridences s'évanouissaient dans une trop éblouissante clarté. Mes courses ininterrompues - un quart de siècle de Palerme à Bamako, de Santiago à Singapour, de Kiev à Téhéran - ne visaient-elles qu'à cela ? À masquer, dissimuler, taire ? Mais quoi ? Mes articles de magazine, mes chroniques que l'on veut aujourd'hui ficeler dans un recueil tout bardé de médailles, que voulaient-ils cacher d'intime ? De ces vingt-cinq années de reportages, de voyages, de départs, d'avions, de kilomètres et de poussière, que me reste-t-il ? Il me faut y réfléchir, mais déjà les convives s'approchent. Derrière la porte, je les devine, pairs et notables qui m'espèrent. Ils piaffent, piétinent, bruissent devant le buffet. Ils sont impatients d'en finir avec cette cérémonie, ce moment de cohésion, de fraternisation professionnelle, et comme je les comprends ! Dans ce salon d'hôtel, réservé déjà pour d'autres célébrations, il faut accélérer le mouvement. Eh bien, je le ralentis. Car à tous ceux que j'ai croisés et dont j'ai tiré le portrait, êtres épingles et transmués désormais en pages de magazine, je veux rendre justice. Je vous rends la parole.

Présentation de l'éditeur :

Peut-on survivre sans honte dans la Roumanie d'après Ceausescu ?
Que s'est-il passé à Bhopal ? Pourquoi le Salvador est-il le pays le plus criminogène au monde ? Qui est Freddie Balnecci ?
Un homme pressé parcourt la planète. Reporter dans un magazine, il voyage pour répondre aux questions que l'on se pose, et à celles que l'on préfère éviter.
Car la vraie question, celle qui ne le lâche plus, concerne le sentiment croissant d'être un imposteur. Comme si son métier comportait une part d'illégitimité. Une zone d'ombre. Un angle mort qui fausserait tout.
C'est cette zone d'ombre qu'il doit maintenant explorer. Pour y parvenir, il lui faudra d'abord retrouver tous ceux - informateurs bénévoles, témoins anonymes, interprètes, chauffeurs de taxi intrépides, «fixeurs» et parfois même victimes des pires sévices - qui l'ont aidé à faire son travail, et que tout le monde a oubliés. De notre envoyé spécial est le roman de ces inconnus. Philippe Trétiack leur donne la parole.

Grand reporter, chroniqueur, Philippe Trétiack est l'auteur de nombreux essais. De notre envoyé spécial est son premier roman.

À propos de cette édition

• Éditeur: OLIVIER
• Date d'édition: 2015
• ISBN 10: 2879299845
• ISBN 13: 9782879299846
• Reliure: Broché
• Nombre de pages: 176