Extrait :
Le naufrage du soleil
«Vous dont les chants de gloire rappellent au lointain avenir la mémoire des fortes âmes disparues dans les combats, bardes, vous épanchez sans crainte votre veine féconde !»
Lucain, Pharsale, livre I.
Je suis fille de ce pays de lacs et de forêts, de ces plaines fertiles, de ces collines boisées. Je suis fille du peuple helvète. De mon enfance lointaine me parviennent des impressions aux contours estompés par les brumes du temps, mais aussi des souvenirs d'une netteté plus tranchante qu'une lame affûtée.
Ce soir, je me tiens sur la berge, près du vieux port. L'air est tiède. Les roseaux frémissent sous la brise. J'aime le crépuscule où doucement l'astre décline et l'odeur du lac, légèrement acre, qui m'est si familière.
Les eaux sont calmes, la houle apaise les tourments de mon âme, et je considère le mouvement immuable des vagues qui viennent lécher la plage avant de se retirer dans un doux murmure. Il en a toujours été ainsi, et cela ne finira qu'avec la fin des temps. Les hommes passent, les empereurs se lèvent et tombent. Je sais aujourd'hui qu'ils n'ont rien de commun avec le soleil, si ce n'est leur course éphémère. Ils se lèvent au matin, et la nuit tombe avant qu'ils n'y aient songé. Mais la terre suit son rythme propre. Que lui importe les villes fortifiées dont les silIons profonds entament sa chair ! La terre ne se soucie guère des peuples qui la chevauchent. Elle respire au rythme des saisons, et les empires des hommes ne sont que d'éphémères flambées en regard du lent travail de la rivière creusant la roche.
J'ai confié aujourd'hui mon arrière-petite-fille à la terre. Mon âme est triste. Elle était si jeune, et moi qui ai vécu soixante-six longues années, j'aurais aimé pouvoir m'étendre là, à sa place. Pourtant, la terre n'est point tout. Elle ne saurait la retenir indéfiniment. Le va-et-vient des vagues sur le sable me parle encore d'éternité.
Mon père sourirait sans doute. Il a toujours dit que je lui ressemblais. «Tu es helvète, Eponina, me disait-il. Ton coeur n'est pas dans la ville. Tu es fille des rivières et des forêts sauvages. Tu sais entendre le souffle des dieux loin de la foule.» C'est pour cela qu'il m'avait donné ce surnom celte qu'il utilisait plus volontiers que mon nom officiel, Iulia, porté par mon aînée et désignant notre famille, selon la coutume romaine. Aux yeux de mon père, Eponina devait échapper à la rectitude d'une route tracée par la Rome toute-puissante pour emprunter des sentiers solitaires connus seulement de ceux qui perçoivent le murmure des dieux dans le bruissement des arbres, là où d'autres n'entendent que le silence de l'absence. En fait, il avait raison et il avait tort. Je n'ai compris que plus tard ce qu'il cherchait à me dire, mais je n'ai pas eu le temps d'en parler avec lui. Ma vie devait basculer par un matin de feu et de sang.
J'ai vu ma terre changer au cours de ces années de tumulte. Les empereurs se sont succédés dans une telle anarchie que je ne me souviens pas de tous leurs noms, mais quelques-uns ont marqué l'histoire de mon peuple.
Lorsque je suis née, en l'an 1014 ab Urbe condita, c'était Gallienus qui régnait sur l'Empire. Cependant, Postumus, le général gaulois, s'était proclamé chef de l'Empire des Gaules.
Présentation de l'éditeur :
Eponina - L'aube du Dernier Empire Roman historique, un voyage aux sources de notre histoire. À la fin du troisième siècle après Jésus-Christ, Eponina, une jeune Gallo-romaine voit son destin basculer avec le début des grandes invasions. L'héroïne est très jeune quand une aube de feu et de sang met fin à sa paisible existence. Dès lors, les dieux taillés dans la pierre ne suffisent plus à expliquer un monde rempli d'incertitudes. Dans les ténèbres et les ruines fumantes de son passé, elle va découvrir une raison d'espérer. D'ailleurs, quand elle avait douze ans, elle avait fait une promesse à son père: si un jour se levait parmi son peuple un chef digne de confiance, tel qu'en rêvaient les Anciens, elle le suivrait jusqu'au bout du monde. Elle ne croyait pas si bien dire... Eponina est alors loin d'imaginer qu'elle verra l'aube du Dernier Empire, un empire qui n'a rien de commun avec la Rome toute-puissante à l'ombre de laquelle elle a grandi.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.