Extrait :
L'ABBAYE DE MONTE-À-REGRET OU DE MONTE-À-REBOURS
C'est une désignation faussement pieuse et repentante de la guillotine. On rencontre la première expression dès 1628, chez Olivier Chéreau. Elle s'est transformée au XIXe s. chez Vidocq, en 1836, en abbaye de Monte-à-rebours ! Cette image est fort simple à expliquer : elle vient de ce que la guillotine était autrefois installée sur un monticule ou une base de pierres (d'où également l'appellation d'abbaye de Saint-Pierre, avec jeu de mots bien sûr, sur les cinq marches d'accès ! en 1881, chez Rigaud). À l'époque, cet engin était installé devant la prison de la Roquette, puis ce fut boulevard Arago, devant la prison de la Santé, jusqu'à la dernière exécution publique, à Versailles, celle de Weidmann, en juin 1939. Ensuite, les exécutions se déroulèrent à l'intérieur des prisons, sans public.
L'appellation d'abbaye est bien sûr ironique, peut-être liée au fait qu'un prêtre était toujours mandé pour assister les dernières heures du condamné. La peine de mort a été abolie en France en septembre 1981. Petite pièce à verser au dossier : Vidocq, ancien bagnard et chef de la police de sûreté sous Louis-Philippe, et qui n'était pas un tendre, a publié à la fin du règne de ce dernier un libelle intitulé Considérations sur les prisons, les bagnes et la peine de mort, dans lequel il affirme que celle-ci est une peine immorale, ou du moins inutile, parce qu'elle habitue le peuple au spectacle des supplices, et parce qu'elle ne répare rien. Il affirme aussi que les grands criminels, loin d'être dissuadés par cet épouvantail, viennent sur la place publique se repaître d'un spectacle qu'ils aiment, et se familiariser avec la destinée qui les attend peut-être. Il savait de quoi il parlait, et l'exemple de Lacenaire le confirme, cet assassin si populaire célébré par Baudelaire et Dostoïevski. Aujourd'hui, grand progrès, nous pouvons de notre fauteuil assister confortablement presque tous les soirs à des spectacles presque aussi épouvantables !
L'ABREUVOIR À MOUCHES
Ce nom composé désignait en argot une blessure superficielle et sanguinolente. Voici une image assez crue et violente, mais juste dans la mesure où l'on sait que les mouches sont attirées par les liquides riches et les sucres. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, cette image, selon Albert Doillon, est très ancienne. Elle figurerait en 1584, chez Tournebu, dans une oeuvre burlesque : Les Contens.
Les balafres et estafilades, appelées aussi marquouses à la fin du XIXe siècle, étaient les décorations affichées par les bagarreurs de la pègre. Rien d'étonnant qu'ils aient plaisanté de bonne heure, dès Villon et sans doute bien avant, sur les bobos qu'ils s'infligeaient. Et, plus haut dans la société, si l'on peut dire, est-ce si différent des coups de sabre qu'arboraient fièrement les étudiants allemands au XIXe siècle ? Les marques de la violence rivale s'affichaient également dans les couches sociales les plus élevées avec la «noble» et dévastatrice tradition du duel !
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Présentation de l'éditeur :
L'argot, c'est les marges et les niches de notre langage au quotidien, ce que nous n'osons ou ne savons pas dire quand nous sommes en «bonne compagnie», comme si l'on pouvait taire indéfiniment le refoulé, le non éduqué, qui vit au-dedans de nous et fait pression, au-dessous de nos paroles et dans notre comportement quotidien.
On trouvera dans ce nouveau livre de J.-P. Colin, auteur du fameux Dictionnaire de l'argot français, de nombreux exemples de la vitalité des argots, clairement expliqués. Le lecteur pourra se rendre compte de la richesse et de l'intérêt de ces pratiques langagières profondément ancrées en nous, même si elles n'émergent pas toujours à la surface de notre être, de notre personnage «public».
Il n'est pas nécessaire d'être un voyou ou un truand pour s'intéresser aux argots ; on peut même dire que tout le monde, en famille, à l'école, dans la rue, dans sa profession, est riche de ce trésor lexical, à préserver jalousement !
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