Extrait :
PICTURAL, VÉGÉTAL
Jean-Christophe Bailly
L'infini de la formation dispensé par la nature aboutit à des formes elles-mêmes infiniment variées et périssables, qui se multiplient, se superposent, se déclinent, se dispersent, s'entrecroisent. Par conséquent des états de forme plutôt que des formes, par conséquent une interminable sculpture de l'être dans le devenir. De tous les règnes, le règne végétal est sans doute le plus exubérant, le plus illimité dans son pouvoir de formation, et cela qu'il s'agisse des états de forme eux-mêmes, de leurs métamorphoses, de leur durée ou de leur taille. Au sein du vivant, les plantes sont dites autotrophes, parce qu'elles vivent et se nourrissent sans avoir besoin de se déplacer : la quête de la nourriture n'existe pas, à proprement parler, pour les végétaux, qui ne sont qu'attente et patience, dans la terre. Attente d'eau, de lumière, de chaleur, de sels minéraux. Or tout vient, tout finit par venir, par être livré à temps, sauf en cas de crise majeure, c'est-à-dire en cas de manque total ou au contraire d'excès de ces apports. Et dès lors, c'est comme si la limitation initiale - l'absence de mouvement propre - était compensée par une illimitation du pouvoir de formation. Alors que les autres vivants (bêtes et hommes) sont compacts, fermés, finis, alors qu'ils évoluent comme des formes fixes et insécables dont la croissance s'arrête au fond assez tôt, les plantes, elles, semblent vivre dans un monde d'élongations et de reprises infinies. D'une certaine façon, le végétal est sans contours, sans volume - seul le fruit se détache de ce monde comme un volume indiscutable. Fleurs, feuilles, branches, rameaux, brindilles, racines, quelle qu'en soit la morphologie, sont toujours en partance dans le devenir que rythment les saisons, sont toujours en train de faire partir la forme (la dormance elle-même n'est qu'une étape de ce voyage). Sans doute les plantes meurent-elles, mais ce qui avec elles est le plus spectaculaire et le plus imposant, c'est la renaissance, le retour, l'endurance, l'expérimentation : soit tout ce que le printemps, dans les régions froides ou tempérées, accueille et acclame. Et cela se fait en douceur ou en force, avec des volutes, des dentelles, des plis, des froissements, des enchevêtrements, des raccords, des incursions, des batailles. Et cela monte de tout en bas vers le haut, sans plaintes ni cris de victoire, comme un pur dépliement, comme une modulation infinie de diversité vivace.
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