Extrait :
Le témoignage d'un enfant du siècle
«Quelque chose qui ressemblait à la liberté» noyée dans un «ruisseau de boue et de sang»
Le Prologue d'une révolution est un texte partisan. Louis Ménard, son auteur, est un jeune poète socialiste et républicain ; il a participé au mouvement qui éclate en février 1848, sonnant le glas de la monarchie de Juillet, et qui se clôt cinq mois plus tard avec la répression sanglante des révoltes populaires de juin. Son point de vue est celui d'un homme du XIXe siècle, qui, dans les salles des clubs, dans les attroupements des rues et des places, dans les cabinets de lecture et dans les maisons ouvrières, a partagé les espoirs et les attentes de milliers d'hommes et de femmes jusqu'au drame de leur sanglante clôture. Son récit nous restitue l'énorme charge de passions et de tensions contradictoires qui se manifestent à ce moment précis de la scène sociale. En suivant cette vision, nous découvrons avec étonnement un pan important d'une histoire que nous croyions connaître et qui, jusqu'alors, nous avait échappé. Une histoire qui sans aucun doute fut lourdement amputée.
Une des images principales que l'on trouve dans le Prologue est celle d'une rupture, de la fin d'un mouvement et d'une expérience. Au fil du texte, 1848 apparaît avant tout comme le moment culminant d'un mouvement social qui se forme et se structure au cours des années de la Restauration et de la monarchie de Juillet. Un mouvement qui monte par capillarité à travers l'espace social de la France avec un rythme scandé par la révolution de 1830, par l'émeute de Paris en 1832, par les luttes des canuts à Lyon ou par le massacre de la rue Transnonain à Paris en 1834, et par tous ces moments dans lesquels les hommes et les femmes des quartiers populaires se sont trouvés en armes ou sur les barricades. Ce mouvement complexe et chaotique est fortement enraciné dans l'espace populaire et plus particulièrement dans les quartiers de Paris. Il sera totalement écrasé, effacé du récit politique et social français, tout comme les barricades et les maisons ouvrières qui furent détruites et emportées par les canons et la mitraille d'une armée engoncée dans ses accoutrements républicains, mais farouchement réactionnaire et conservatrice. Voilà donc que 1848 apparaît comme l'aboutissement et le moment final d'une période, alors que, dans tous les manuels étudiés à l'école, nous avions appris à le considérer comme une étape dans la construction progressive de cette forme sociale et institutionnelle que sont les républiques contemporaines.
Ayant pour objectif de reconstituer les racines d'une réalité politique et sociale, la presque totalité de l'historiographie contemporaine a mis l'accent sur l'idée d'ébauche, de préparation de quelque chose à venir. Maurice Agulhon, dans une étude largement reconnue - référence de l'histoire de la Seconde République - a forgé le concept d'apprentissage. En étudiant la trame complexe d'événements qui se tisse au cours de cette période, il présente ce moment singulier comme une configuration d'actions contradictoires d'où aucune structure politiquement viable ne peut émaner. La courte période gérée par le gouvernement provisoire, celle-là même sur laquelle se fondaient tous les espoirs exprimés dans le Prologue, est interprétée comme un moment ne donnant à lire que de manière confuse les traces de la future république.
Présentation de l'éditeur :
Louis Ménard (1822-1901) est un témoin visuel de la révolution de février et des journées de juin 1848, et de la période trouble qui les sépare, période qui résonne fortement avec l'époque actuelle. Républicain et démocrate pendant la monarchie de Juillet, le spectacle du massacre des ouvriers parisiens décide de son passage à ce qu'on appellerait aujourd'hui l'extrême gauche. Qu'un texte aussi remarquable ait eu une fortune aussi discrète, qu'il soit resté indisponible pendant des dizaines d'années est un symptôme : les journées de juin 1848 font partie du refoulé de l'historiographie française. Cette nouvelle publication de Prologue d'une révolution vient à point nommé pour rappeler ces quatre journées, l'une des plus formidables ruptures de l'histoire du XIXe siècle.
Filippo Benfante est historien. De 2003 à 2007 il a dirigé, avec Piero Brunello, la collection d'inspiration libertaire «Il risveglio» pour les éditions Spartaco en Italie.
Maurizio Gribaudi est directeur de recherche à l'EHESS, spécialiste de l'histoiri sociale, de la microhistoire, grand connaisseur du Paris du XIXe siècle.
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