Extrait :
Deux malentendus viennent oblitérer et d'une certaine façon dramatiser le lancinant débat sur l'avenir du livre et sur le devenir de la littérature.
En tant que support et vecteur d'informations, aide-mémoire, outil d'apprentissage, instrument pédagogique, moyen portatif d'évasion onirique, l'objet livre est en fait un tard venu sur le champ où, depuis des dizaines de millénaires, se développent les aptitudes cérébrales de l'être humain. C'est du reste par l'intermédiaire de l'oralité que I'Homo Sapiens Sapiens s'assura la maîtrise mentale puis physique du monde visible, mais aussi qu'il pressentit l'existence d'un versant invisible, impalpable mais agissant, de ce même univers.
Le long intérim assumé par le livre en tant que vecteur, réceptacle et instrument propagateur de savoirs, d'intuitions, d'élucubrations et de fantasmes fondait sa légitimité sur le présupposé selon lequel «les paroles s'effacent, les écrits restent».
Selon le même principe, la commodité et le souci d'efficacité ont trouvé des outils beaucoup plus fiables, moins aléatoirement tributaires du degré d'expertise et de maîtrise de leur usager, pour tenir le rôle à la fois pragmatique et spéculatif (mais aussi rassurant) de vade mecum, de gazette, de mémoire à tout faire, l'informatique et l'électronique proposant une impeccable version sophistiquée du couteau suisse, à usage cérébral.
Aussi ne doutons pas du fait que cette nouvelle prothèse saura rapidement concurrencer, sinon supplanter, la lecture livresque, progressivement reléguée au rang des antiquités nobles et sentimentales. Maints bibliothécaires ont au demeurant d'ores et déjà devancé le mouvement, en renonçant à l'usage du beau préfixe venu de l'antiquité, ce biblios porteur de subtils usages, pour adopter une autre racine inaugurale, aussi pragmatique que l'était l'esprit des Romains, ce médium, utilisé du reste dans sa forme plurielle de média, qui, en latin, signifie à la fois moyen et médiocre.
Présentation de l'éditeur :
«Il n'y a pas plus de culture populaire que de culture élitaire : il y a des oeuvres qui exhaussent, élèvent, transcendent, embellissent, d'autres qui diminuent, rabaissent, avilissent... Le comble du malentendu, ou de la lâcheté ambiante, c'est que nombre de moyens de communication et de divulgation ont fait avec cynisme le choix de promouvoir à outrance le populisme culturel [...] Le livre, quand il se tient dans l'espace spécifique de sa vocation intrinsèque, est encore cet objet de sens et de pressentiment qui véhicule le meilleur de ce que l'humanité a à se proposer à elle-même.»
Depuis trente ans, Gil Jouanard est le partisan d'une action culturelle indépendante autour du livre. Porté par l'exemple de Jean Vilar et par celui de Jean Dasté, il crée un premier centre de recherche et d'animation littéraires à la Chartreuse de Villeneuve-lés-Avignon. Soutenu par Jean Gattegno, alors directeur du Livre, il participe à la création d'aides en faveur du livre et de la création littéraire, contribuant ainsi à initier des politiques régionales du livre. Il crée en 1985 la Maison du Livre et des Ecrivains ainsi que le Centre Régional des Lettres en Languedoc-Roussillon avec Anne Potié. Ce prestigieux centre sera brutalement détruit en 2004, suscitant une vague de protestations chez les écrivains et les intellectuels. Gil Jouanard est l'auteur d'une trentaine de livres.
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