Extrait :
Extrait de la préface d'Etienne Robial
Un livre sur le Futura est une aubaine pour tous les graphistes et typographes à travers le monde. L'histoire qui en est proposée ici renvoie les praticiens de la lettre à la rencontre que chacun a opérée avec ce caractère emblématique de la modernité, ainsi que Pierre Faucheux aimait à le souligner. Pour ce qui me concerne, il me faut remonter très loin, au temps de mes études à l'école des beaux-arts de Rouen où j'avais obtenu avec mention mon diplôme de troisième année sur un thème imposé : l'Auriol, études comparatives des oeils, des corps, des criasses et des approches. Mais, à la vérité, mon livre de chevet était un catalogue Deberny & Peignot du début des années 1930 où trônait, à la rubrique «Antique» ( !), l'Europe, soit le Futura simplement rebaptisé pour le faire accepter aux imprimeurs français. Ils étaient là, le maigre, le demi-gras, et surtout le gras, devant moi, solide, droit sur ses jambes, robuste, le O rond mais pas rond, le I (i) cap et le I bdc quasi identiques, et le M et le W, deux monuments, le dessin est très sophistiqué pour faire simple, pas de parallèles ! Je suis fasciné par l'utilisation des quatre oels dans un même corps du gras. Ma/s mon drame c'est que l'alphabet du gras dans le D&P est incomplet, il me faut enquêter, compléter, imaginer, bricoler... Je revois encore ses E cap, affublés d'accents fantaisistes, certains soudés à la nuque, d'autres haut perchés.
On pouvait employer l'Europe pour le titrage par le biais du procédé Diatro, qui offrait des dessins différents pour chaque corps, alors que la photocomposition proposait un agrandissement pur et simple. Quant au Futura, sous son appellation d'origine, il en existait une version correcte, au milieu des années 1960, dans des spécimens américains de Letraset qu'on se procurait en Hollande.
En France, on pouvait trouver des lettres transfert Alfac Decadry «mode in Belgium», la cédille du C, la queue du Q laissaient un peu à désirer. Mécanorma, bien plus tard, distribua un Futura, romain, digne de ce nom, mais l'italique était italisée.
Dans les années 1970, j'ai souvent réalisé des couvertures en Futura de Letraset pour les livres Futuropolis. J'ai également très largement employé le Futura dans les magazines de bande dessinée : Métal Hurlant et (A SUIVRE).
Comment le Futura était-il connoté à cette époque ? On peut déjà dire, et l'ouvrage le souligne, que le style typographique international était hégémonique et que mes profs à Vevey, en Suisse, ne juraient que par l'Helvetica. Le Futura était considéré comme un caractère techniciste réservé aux catalogues industriels, aux imprimés techniques, aux dictionnaires ou aux horaires de chemin de fer...
En vérité, fous les graphistes et typographes se devaient de le redécouvrir pour sa pureté géométrique, son modernisme et sa simplicité. Cela correspondait alors à une soif de retrouvailles avec l'«esprit moderne» dont les institutions culturelles, les éditeurs, ont commencé de se faire l'écho en France.
Quand je me suis vu confier l'identité graphique et visuelle de la future chaîne de télévision française CANAL+, en 1984, l'utilisation du Futura allait de soi, à mes yeux. Je m'en suis expliqué et les auteurs de l'ouvrage ont parfaitement fait la synthèse de cette démarche et de la longue intervention qui en a découlé. Cela m'a amené à modifier le caractère Futura et à fournir mes propres versions adaptées à tous les supports nécessaires : antenne et imprimés (avec Stéphane Maillard, Marc Lescop puis Sylvain Masseran), de 1 992 à 1994, sous l'intitulé de CANAL+ bold, médium, light, italique et romain. Il est vrai que de pseudo-Helvetica et Futura répondant aux noms hypocrites, de manière à économiser les droits d'auteurs, de Swiss et Géométrie (sic) figuraient sur les synthétiseurs d'écritures des régies et des studios de télévision.
En 2008, Alexandre Dumas de Rauly et Michel Wlassikoff sont venus frapper à ma porte au début de leur recherche, c'est à plusieurs titres que je les ai accueillis : en tant que graphiste et éditeur, grand utilisateur du Futura, en tant que dessinateur de caractères, m'étant frotté à la conception même de la lettre, et aussi en tant que collectionneur. Michel Wlassikoff qui fut, en 2000, le commissaire de mon exposition «Un regard carrément moderne» à la galerie Anatome et qui a publié son incontournable Histoire du graphisme en France, en 2005, connaissait mes archives. Il m'a présenté son complice et ancien étudiant Alexandre Dumas de Rauly. Un jeune graphiste prometteur qui met en pages lui-même ce premier livre qu'il cosigne, après avoir obtenu un 20/20 à son DNSEP, présenté à l'école supérieure d'art de Cambrai, pour son étude sur l'universalité en typographie, dont sa recherche sur le Futura occupait une large part. Tous deux se sont plongés dans les spécimens et autres catalogues avec ce parti pris, qui m'est évidemment apparu d'un très grand intérêt, mais qui me semblait nécessiter de titanesques investigations, bien au-delà des nombreux documents que j'ai recueillis au fil des années.
Biographie de l'auteur :
Alexandre Dumas de Rauly est graphiste, titulaire d'un DNSEP en communication (ESA Cambrai, 2009), obtenu avec les félicitations du jury pour ses recherches sur le Futura et les caractères utopiques. Michel Wlassikoff, historien, diplômé de l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), a dirigé Signes, revue consacrée au graphisme. Auteur de nombreux articles et d'ouvrages, notamment Histoire du graphisme en France, Carré/Les Arts Décoratifs, 2005, il enseigne l'histoire du graphisme à l'ESA Cambrai, l'école Estienne et l'ESAG Penninghen. Préfacier de cet ouvrage, Etienne Robial est cofondateur, en 1972, de Futuropolis édition. Il crée l'identité de la chaîne Canal+, dont il assure la direction artistique de 1984 à 2009, et conçoit les habillages de la Sept, M6, Show TV et RTL9. Il est chargé de cours d'art graphique à l'ESAG Penninghen.
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