Extrait :
Formation
Nathalie Heinich - Je ne suis pas issue d'une famille qui connaissait vraiment le monde intellectuel. Je n'avais pas d'universitaires dans mon entourage, encore moins de sociologues. Je n'ai jamais entendu parler de recherche pendant mes études, ni du CNRS, Je me souviens avoir découvert un livre de Pierre Francastel dans la bibliothèque de mes parents, quand j'étais encore au lycée. Je me souviens aussi avoir lu au moment de mon bac, un peu par hasard, Recherches dialectiques de Lucien Goldmann, avec l'impression d'un monde qui s'ouvrait... En terminale, mon professeur de philosophie m'a parlé d'hypokhâgne. Je ne savais pas ce que c'était mais je m'y suis retrouvée, à Aix-en Provence, en ayant pris par précaution une inscription en philosophie. Et en effet, au bout de deux mois de classe préparatoire, je n'ai plus supporté la discipline : je suis partie en plein milieu d'un cours sur Rabelais, et je me suis retrouvée à la fac. Je voulais surtout découvrir la vie, ne pas avoir à me lever tôt le matin... Je suivais les cours sans entrain, parce que je ne me sentais pas de vraie vocation pour la philosophie. C'était une époque où on avait la chance de ne pas trop se poser de questions à propos de l'emploi : on s'engageait dans des études parce que ça nous plaisait, il n'y avait pas de chômage -c'était en 1973, avant le choc pétrolier. Il me paraissait évident que j'allais faire de l'enseignement, puisque j'avais toujours été bonne en classe : la question était de savoir dans quelle matière.
L'une des seules choses qui me soit vraiment restée de ces années de philosophie est un cours sur la «querelle des universaux», en deuxième année. J'étais farouchement du côté des nominalistes, persuadée avec eux que les concepts ne disposent d'aucune existence réelle, seulement d'une existence nominale, qu'ils ne sont pas des choses mais des constructions de l'esprit. Cette conception me paraissait en accord avec l'esprit gauchiste dans lequel je baignais. J'avais très peu lu Marx, mais je me sentais marxiste... J'avais d'ailleurs rendu une dissertation de philosophie en hypokhâgne, sur Marx, où je ramenais sa pensée au nominalisme, sans utiliser encore ce terme, bien sûr, que je ne connaissais pas à l'époque. J'avais été très étonnée de ne pas avoir une bonne note...
Présentation de l'éditeur :
La sociologie à l'épreuve de Nathalie Heinich - entretien avec Julien Ténédos
[première partie]
Auteur d'ouvrages-clefs de la sociologie de l'art, Nathalie Heinich retrace dans cet entretien son parcours intellectuel. Des «années Bourdieu» à la défense d'un style de recherche pragmatique et compréhensif, la sociologue revient sur la constitution d'une pensée originale et novatrice, tant par ses objets que par sa méthode. Statut d'artiste, perception esthétique, reconnaissance, identité, valeurs : autant de problématiques à partir desquelles Nathalie Heinich éclaire les enjeux de notre société et met à l'épreuve la sociologie elle-même.
Au fil de ces discussions se dessine également une description concrète du travail sociologique : comment se construit une carrière de chercheur ; comment émergent les thèmes de recherche ; comment se fabriquent les enquêtes ; comment s'écrivent et se publient les articles et les livres, et à quelles lectures parfois inattendues ils donnent lieu.
Le premier volume traite de l'art contemporain, de l'identité et de la singularité, à partir notamment de ses travaux sur Van Gogh et sur les écrivains.
Née en 1955, Nathalie Heinich est directeur de recherche au CNRS, membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (Cral, EHESS), et membre associé au Laboratoire d'anthropologie et d'histoire sur l'institution de la culture (Lahic). Elle a publié une vingtaine d'ouvrages, dont La Gloire de Van Gogh (Minuit, 1991), Le Triple Jeu de l'art contemporain (Minuit, 1998), Être écrivain (La Découverte, 2000), L'Élite artiste (Gallimard, 2005), ainsi que États de femme (Gallimard, 1996) et, avec Caroline Eliacheff, Mères-filles (Albin Michel, 2002).
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