Extrait :
J'avais décidé de faire ça, je ne sais pas au juste pourquoi - enfin, si, l'argent. L'argent, ça se dit wari, en bambara. Début de la journée ? Sept heures, comme en France. Nous travaillons jusqu'à midi. Puis il y a vingt minutes de pause. Pas une heure, pas une demi-heure ! Non, vingt minutes. C'est drôle, je croyais qu'en France, dans le bâtiment, j'avais vu le pire. Mais on peut toujours trouver pire. Wu, notre chef, veille toujours à ce que nous ne dépassions pas le temps de pause. Il a un truc, Wu : il met son portable à sonner sous le manguier où nous prenons notre pause, près de la baraque surchauffée qui nous sert de cantine. C'est infaillible. Les Africains se foutent du temps, mais ils réagissent très vite au rappel à l'ordre. Une petite musique chinoise, voilà la couleur de notre rappel à l'ordre.
Et puis le cirque continue jusqu'à 18 heures.
La mondialisation ne perd pas une seconde, ni un instant.
J'ai pris ce chantier pour l'argent, parce que les banques françaises ont momentanément interrompu les versements internationaux. Cela fait suite à ces insupportables et puériles guerres des visas entre gouvernements. Je n'ai plus rien, et il est bien entendu hors de question que je tape mes amis pour manger.
Je découvre la vie d'ouvrier africain. Encore une expérience qui me manquait. Je suis payé 2500 francs CFA par jour. Le paquet de cigarettes le moins cher coûte trois cents francs. Un kilo d'oranges trois cents francs. Mon dernier pantalon m'a coûté 6000 francs. C'est ce que payent les Chinois. Moi, comme ils m'ont mis à la grue sur rails, je touche 2500 francs, un monde. Il y en a qui voudraient être à ma place, wallaye je t'assure !
Je grille dans ma cabine comme un poulet toute la sainte journée, et pourtant ! Pour une place, c'est une bonne place. Celui qui est là tire son épingle du jeu. L'ouvrier de base, lui, c'est 1200 francs qu'il touche. Ouvrier au Mali, c'est être la lie du monde. C'est être de la poussière. Il y en a tant qu'on veut de l'ouvrier de base, et c'est tout poussiéreux, oui, et ça n'a pas fière allure, car ça porte toujours les mêmes vêtements. On dirait les photos de Salgado : toute la misère du monde. Les ouvriers sont tellement pauvres qu'ils ont un pantalon collectif pour le samedi soir. Il revient à celui dont c'est le tour de sortir. Des fois faut qu'il revienne avant 23 heures, qu'un autre puisse en profiter aussi.
Les photos comme Salgado il est hors de question d'en faire : les Chinois refusent.
Présentation de l'éditeur :
QUOI ?
L'itinéraire d'un homme qui a décidé de ne pas se laisser contaminer par la folie du monde occidental. Mais aussi : une critique de la machinerie qui passe les hommes au laminoir de l'argent ; une description de Paris ; une échappée africaine.
QUI ?
Ivan, charpentier, rêveur déterminé ; Sève, architecte, blonde, injuste ; Abdullaye, sage sans-papier ; Wu, contremaître chinois ponctuel ; M. Pérez, tyran par intérim ; Alma, belle Galicienne ; Carmen, vieille Galicienne ; Solo, griot musicien ; mais aussi : Aminata, N'goné, les voisins du dessus, les couvreurs, les maçons, les Portugais, les Kurdes, les Maliens, les Français et vous.
OÙ ?
À Paris, en banlieue, à Marseille, en Galice, à Bamako, en Chine. Ici et là. Sur les toits, en forêt, en mer, dans le métro, dans l'avion, en train, à pied, dans une grue, entre vos mains.
QUAND ? En ce moment même.
L'AUTEUR
Fabrice Loi est né à Paris en 1971. Il est photographe et saxophoniste. Diplômé en charpenterie et en histoire contemporaine, il a participé à plusieurs projets de développement au Bénin et au Mali. Il vit à présent à Marseille. Le Bois des hommes est son premier roman.
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