Extrait :
Lyon, 1980. Il fait son cours assis, sans aucune note, voix monocorde. Ses mots semblent sortir des tréfonds de son âme. Ils n'en paraissent pas moins inspirés par un impalpable au-delà. Son élégance toute britannique, arbore tweed ocre brun et kaki ; sa chevelure blanche et dense pèse sur sa tête qui rentre légèrement dans les épaules, comme empreinte d'humilité. Captivés, les étudiants ont de violentes et roboratives respirations, comme sortant d'une apnée.
Henri Maldiney déroule sa pensée faite de sommations et de provocations, comme s'il égrenait un chapelet. J'étais loin d'imaginer que cette pensée serait un point d'ancrage de mon existence : elle ne me renvoyait alors qu'à une certaine perplexité, marquée du malaise de ne pas la saisir. Longtemps je l'ai fréquentée avec un sentiment de précarité dans ma compréhension. Le cordon qui me reliait à cet entendement était incertain et fragile. Je ne me décourageais pas. Il me faudra du temps pour que je comprenne que cette pensée me conduisait à la «chose même» de l'existence.
Cette «chose même», l'existence, c'est «la possibilité toujours ouverte de rencontrer, et la rencontre est en toute situation humaine, le moment de réalité». Mais ce noyau dur, insécable, est extrêmement volatile, il est comme une image nette sur un support vaporeux... éphémère mais toujours recomposable avec la concentration de l'imagination.
L'oeuvre d'Henri Maldiney, né en 1912 à Meursault en Bourgogne et élevé en Franche-Comté (lycéen à Besançon puis à Lyon), pourrait être qualifiée de poétique comme on peut le dire, au sens large, d'une forme de langage qui change une forme de vie, ou inversement d'une forme de vie qui change une forme de langage. En parler, c'est bien sûr faire référence à un ensemble de livres qui constituent l'oeuvre écrite. Il s'agit principalement de quatre grands ouvrages : Regard, Parole, Espace (L'Âge d'Homme, Lausanne, 1973), Art et existence (Klincksieck, Paris, 1985), Penser l'homme et la folie (Jérôme Millon, Grenoble, 1991), Ouvrir le rien, l'art nu (Encre marine, La Versanne, 2000). Ces publications ont eu un caractère tardif et Maldiney a d'abord fait «oeuvre orale» : celle de son enseignement à Gand d'abord, puis principalement à Lyon.
Élève de l'École normale supérieure, où il a obtenu l'agrégation de philosophie, il a été prisonnier en Allemagne pendant la guerre, puis professeur d'université titulaire de la chaire de Philosophie générale, d'Anthropologie phénoménologique et d'esthétique. Discutant Martin Heidegger, Ludwig Binswanger et Erwin Straus, commentant Freud, Husserl et Szondi, il a contribué de manière décisive à l'analyse existentielle (Daseinsanalyse). Grand lecteur des classiques grecs et allemands, qu'il questionne sans cesse, il est devenu familier de la pensée chinoise et d'oeuvres majeures de peinture de la Chine ancienne.
Présentation de l'éditeur :
Henri Maldiney est ancien élève de l'École normale supérieure. Il fut prisonnier en Allemagne pendant la guerre. Il est un des représentants en France du courant philosophique de la phénoménologie. Ses champs de réflexion concernent la maladie mentale, l'art et, bien sûr la philosophie. Il a influencé nombre de psychiatres, de philosophes et d'artistes.
La meilleure façon de proposer une introduction à la pensée de Henri Maldiney, c'est peut-être de faire partager une expérience personnelle de rencontre. Bernard Rigaud, en travaillant sur différents sujets, a croisé et recroisé de façon régulière la pensée de ce philosophe. À chaque occasion, il a eu le sentiment d'être éclairé et inspiré.
Partant des différentes modalités du mal-être, la pensée d'Henri Maldiney devient une pensée sur l'être. Mais comment penser ce qui est ? Le philosophe nous conduit sur les voies de l'art, et sur les voies des dysfonctionnements, de la folie, de la dépression...
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