Extrait :
J'habitais à l'époque un village au bord de la mer, non loin de Brest. Les Allemands l'occupaient : c'était en 1943. J'allais avoir vingt ans. Étudiante à Rennes, je conservais ma chambre dans la maison où j'avais grandi et je venais tenir compagnie à mon père qui vivait seul : ma mère était morte quelques années auparavant.
Me plaisait la vieille maison de pierre avec ses volets de bois peints en rouge, - d'un rouge que la vigne vierge rendait en été plus profond et qu'illuminaient au contraire en automne les feuilles cuivrées. Des décrochements de façade lui donnaient l'air d'un petit manoir anglais que l'on imaginait volontiers l'hiver parcouru par de blancs fantômes. Il n'en était rien : parce qu'elle avait vécu dans les îles anglo-normandes, ma mère avait le goût du sweet home, et la maison regorgeait de couleurs chaudes, de motifs écossais et fleuris. Il y avait ici et là des tapis, des photographies, des abécédaires brodés, des porcelaines de Jersey. Un bow-window dans le salon donnait au sud-ouest sur une vaste pelouse qui surplombait la route, et que cinq marches fermées par un portillon grenat séparaient d'elle. L'étage était mansardé, et les fenêtres là-haut prises dans un toit d'ardoises de montagne. Ces ardoises mordorées, associées aux montants rouges des fenêtres, étaient d'un bel effet.
Derrière la maison, un grand jardin clos de murs. Adossées à ces murs, les remises toujours multipliées parce qu'il n'y avait jamais assez de rangement ; elles contenaient un bric-à-brac de caisses, d'outils, de chaises longues. Dans un angle du jardin, tout au fond, une serre où poussait encore du raisin. Je dis encore, car après la mort de sa femme, mon père s'était désintéressé des plantes, et la serre qui fleurait bon les géraniums, les tomates, où ma mère multipliait les semis tandis qu'enfant je la regardais faire, tout ça était maintenant laissé à l'abandon ; la verrière se détériorait. Amédée, le jardinier, s'occupait seulement des pelouses, des plates-bandes et de leurs bordures de buis, du grand camélia et des poiriers qui poussaient en espalier le long des murs de pierre.
Au bord de la route (on ne disait pas la rue, la maison étant à la sortie de Gwitalmézé, sur la route de Tréompan), et perpendiculaire à elle, il y avait les dépendances : un bâtiment tout en longueur, bordé d'un préau, et ouvert sur une grande cour accessible aux bêtes et aux voitures à cheval : mon père était vétérinaire. Il administrait les soins dans la grande pièce du bas, quelquefois sous le préau. À l'étage, il y avait son cabinet et un grenier.
Présentation de l'éditeur :
La guerre. Ce pourrait être n'importe laquelle. C'est celle de 1940. L'histoire se passe près de Brest, dans la maison réquisitionnée pour loger un officier allemand affecté à la construction du mur de l'Atlantique. Sur la côte finistérienne, cet officier du génie, originaire de la Baltique, se sent dans un pays fraternel. En face de lui, une jeune fille et son père. Vont-ils s'enfermer dans le mutisme comme les personnages du Silence de la mer, de Jean Vercors ? Tous les trois choisissent de parler. Qu'est-ce que la patrie ? Qu'est-ce que le devoir en temps de guerre ? Ils évoquent ce qui a uni, désuni leurs pays respectifs dans le passé, ce qui les réunira un jour dans l'Europe. Ensemble ils vont tenter de comprendre l'incompréhensible, de se hisser mentalement au-dessus des clôtures, des barrages tel ce mur de l'Atlantique. Dans Les Silences de la guerre, Claire Fourier entrelace le déroulement de la guerre et celui d'un amour. Elle donne à voir un homme et une femme qui choisissent de donner tort à la guerre et décident d'entrer dans une résistance supérieure. À nouveau, elle traite un thème qui lui est cher avec un souci minutieux de l'exactitude historique.
Les informations fournies dans la section « A propos du livre » peuvent faire référence à une autre édition de ce titre.