Extrait :
C'était dans la nuit de Trébeurden, sur la digue. On entendait les vagues, le bruit incessant de la mer. On avançait, frappé au visage surtout, par le vent. Et soudain on percevait comme par bribes, un air. Ça devenait plus régulier et plus fort peu à peu et tout à coup, après avoir dépassé les Roches Blanches, on le voyait qui tournait sur une petite hauteur, devant le port. Des lumières d'abord, indistinctes comme des traînées de couleur sur la nuit. Et puis des formes peu à peu comme on s'approchait : des avions, des fusées, un bateau, un car, des chevaux. Les avions montaient et descendaient et les enfants dedans essayaient d'attraper un pompon que faisait sauter la patronne du manège. C'était une boule de tissu avec de longues franges, attachée au bout d'une ficelle passée dans une poulie. «Ça y est, je l'ai, criait une petite fille, j'ai un tour gratuit.» Et bientôt, le mouvement s'arrêtait, les enfants descendaient sauf cette petite fille qui trônait comme une reine dans son avion, pressée que ça redémarre.
Lui était à côté, près d'une petite baraque à barbes à papa tenue par le patron du manège. Ça sentait bon, une odeur sucrée, légèrement écoeurante, mais bonne. Le patron tendait un bâton surmonté d'une énorme boule de filaments rouges à un enfant qui, lui, tendait une pièce. Il portait un chapeau à larges bords, un jean et une veste à franges, en daim marron, des santiags. Il souriait. Il avait un bon sourire. L'enfant, aux beaux yeux bleus, prit la barbe à papa et le sourire pour le prix de sa pièce et alla rejoindre sa mère qui l'attendait près du manège, assise sur une chaise, emmenée par le mouvement des couleurs qui passaient et les éclats de sons qui traversaient le vent.
C'étaient des airs anciens, sur une sorte d'orgue de barbarie, un instrument mécanique, avec parfois aussi de la variété plus récente, des tubes. On entendait des bribes de morceaux quand le vent les soufflait vers soi, des bribes d'airs anciens et nouveaux qui se perdaient dans la nuit, avec les lumières du manège. Il reconnut Bambino de Dalida : «Et gratte et gratte sur ta mandoline mon petit Bambino, ta musique est plus jolie que tout le ciel de l'Italie». Il entendait parfois cette chanson, des années auparavant, en passant lorsqu'il rentrait de l'école - il avait à l'époque onze, douze ans - près des autos tamponneuses, quand la foire s'installait à Lannion, sur les bords de la rivière envasée, le Léguer, où la mer remontait chaque jour au gré des marées. Et chaque fois, ça lui pinçait le coeur. Comme une sorte de féminité sensuelle inaccessible, une promesse inatteignable dans l'instant : «Tu peux chanter tant que tu veux, elle ne te prend pas au sérieux». «Bambino, Bambino» et le reste se perdait, emporté par une saute de vent tandis qu'il s'approchait du manège, dans la nuit tombante à Trébeurden.
Présentation de l'éditeur :
Antoine a vécu son enfance à Paimpol, à Lannion. Il quittera sa Bretagne dès qu il le pourra pour entreprendre une école de journalisme, à Lille. Antoine est un passionné de cinéma, un critique, pour La Voix du Nord. Il aime les films, la ville, regarder les passants. Les images, voici ce qui compose sa vie.
Après vingt ans d absence, il retourne en Bretagne, se souvient, mais pas trop. Sur la route qui le conduit de Lille à Paimpol, il écrit ce qui l entoure, des vieilles usines désaffectées du Nord à la rudesse des littoraux bretons, de l élégance des bâtisses lilloises au restaurant traditionnel du port.
À travers ses errances, brusquement, il voit Anne et sa vie commence à emprunter des chemins de traverse qu il ne soupçonnait pas.
Tout est à écrire, à créer. Et Antoine continue de regarder ; les images qui défilent, le lecteur les attrape au vol.
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