Extrait :
Extrait de l'avant-propos d'Hélène Rouvier Archiviste honoraire au musée Rodin
Découvrir ou re-connaître le grand artiste d'art sacré : c'est grâce à son petit-neveu le père Henri Lapèze-Charlier, de l'abbaye Sainte-Madeleine du Barroux, que le lecteur de cet ouvrage ira contempler - au sens fort du terme - les oeuvres de l'artiste dans nombre d'églises et de monastères de France et d'Europe et jusqu'au Canada. C'est bien en effet de contemplation qu'il s'agit, car toutes nous élèvent et nous tirent hors du monde, vers des vérités plus hautes.
Dans l'effervescence artistique, tant dans les formes que dans les techniques, qui caractérise la fin du XIXe siècle et jusqu'à la guerre de 1914, seul l'art sacré reste en retrait : du néo-gothique au néo-renaissance en passant par le néo-byzantin, l'architecture semble craindre l'innovation, tandis qu'à l'intérieur des édifices, l'art sulpicien gouverne encore, où s'étaient déjà illustrés au Second Empire des sculpteurs comme Cabuchet ou Fabisch. L'iconographie religieuse reste et restera longtemps très académique, toujours soucieuse de didactisme; et la sculpture, qui sera plus tard la discipline de prédilection d'Henri Charlier, garde à cette époque un style très conventionnel : tels Gustave Crauk et même Carrier-Belleuse pourtant non dépourvus de talent, Augustin Préault ou Constantin-Meunier parmi les plus connus. «Comment se fait-il, s'écriait Claudel dans positions et propositions, que dans un siècle qui a compté tant de grands artistes, un Rude, un Carpeaux, un Rodin, un Bourdelle, un Maillol, un Despiau, ce ne soit jamais à eux que s'adresse l'autorité ecclésiastique, mais à des marbriers de cimetières et de lavabos, fournisseurs de simulacres désossés ?» Paroles brutales, mais qui disent assez à quel point de déréliction était tombé l'art religieux.
Cependant, suivant en cela le mouvement symboliste né autour des années 1880, des artistes vont chercher, pour exprimer leur foi, d'autres sources d'inspiration, aussi bien dans l'exotisme que dans les civilisations primitives ou anciennes. Henri Charlier a-t-il entendu parler de cette école d'art sacré en Allemagne où le père Desiderius enseignait une esthétique religieuse appuyée sur l'art égyptien ? Le peintre Sérusier, en tout cas, la connaissait, lui qui fut ami à la fois du grand peintre catholique Maurice Denis et du sculpteur Georges Lacombe ; ce dernier, avec sa Marie-Madeleine taillée dans le bois et datée de 1897, s'inspire à l'évidence de celui qu'on avait consacré «chef des symbolistes» : Gauguin. Gauguin ! L'un des grands modèles d'Henri Charlier.
C'est en 1902 qu'Henri Charlier commence ses véritables études artistiques ; et même s'il avoue avoir «pataugé jusqu'à vingt-six ou vingt-sept ans», cherchant son style et sa technique, il sait déjà ceux qui seront ses guides et qui reviendront en trilogie, comme un refrain, dans tous ses écrits sur l'esthétisme : Cézanne, Gauguin, Rodin ; ceux qu'il appelle «les grands devanciers», ceux qui ont su retrouver le sens de l'expression par la forme, perdu depuis le Moyen Âge. À cette date, les deux peintres ont déjà fini leur carrière, mais Rodin, bien que leur exact contemporain, est encore en pleine gloire. Aussi, lorsque l'on propose au jeune Charlier d'aller offrir son talent de fresquiste au sculpteur en juillet 1912, on peut imaginer avec quelle joie il se rend chez le maître qu'il admire. «Rodin, disait Maillol, c'était le dieu !»
Biographie de l'auteur :
Dom Henri, moine bénédictin à l'Abbaye Sainte-Madeleine du Barroux (Vaucluse) est le petit neveu d'Henri Charlier.
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