Extrait :
1825-1852
Je reconnais là ma sale éducation d'enfance
(Une saison en enfer)
Vitalie Cuif est née le 10 mars 1825 à Roche, un petit village des Ardennes.
Ses parents, Jean-Nicolas Cuif et Marie-Louise-Félicité Fay, étaient cultivateurs. Quand ils s'étaient mariés en 1823, chacun avait approuvé une union aussi bien assortie : voilà un couple de fermiers qui ferait fructifier l'exploitation familiale et qui connaîtrait une vie sans histoire.
Alors qu'en réalité commençait une histoire pleine de larmes et de fureur.
Qui aurait pu le prévoir ?
Jean-Nicolas était un brave homme. Un travailleur. Il ne buvait pas, il possédait des terres. Félicité avait de la chance : elle entrait dans une honnête famille.
Au XIXe siècle, se marier jeune, ce qui était le cas de Félicité, dix-neuf ans, alors qu'en général les filles se mariaient plutôt vers vingt-cinq ans, signifiait une dépendance économique à l'égard des parents. Les jeunes mariés servaient de main-d'oeuvre. Ils cohabitaient avec les parents. Parfois même avec les grands-parents. Une situation qui était source de tensions, mais qui permettait une organisation collective du travail. Toutefois, le mariage, affaire commerciale, n'excluait pas l'amour. Il était évident que Jean-Nicolas Cuif aimait sa femme.
Félicité, qui venait de Tourteron, le pays des cerises, fut bien accueillie dans la ferme des Cuif à Roche. Les parents de son mari, Jean Cuif et Marguerite Jacquemart, avaient préparé un lit dans la salle commune : ce serait l'espace personnel des jeunes mariés, avec, comme bien, une armoire à linge dans laquelle Félicité pourrait serrer son trousseau, ses six douzaines de chemises, ses dizaines de cache-corset et ses jupons taillés dans un tissu «à n'en pas voir la fin». Même qualité pour ses jupes exécutées à la maison dans un tissu épais, laine pure ou mélangée, rayée de lignes foncées fines d'un demi-centimètre ou plus, rouges ou grises, rouges ou noires, bleues et noires. Félicité pourrait aussi ranger ses corsages, blouses blanches garnies de dentelles ou de broderies pour les grandes occasions, blouses à basques aux longues manches, boutonnées sur le devant pour la vie courante. Sans négliger les tabliers, en toile blanche ou bleue pour la semaine, en satin ou soie pour le dimanche. La poche, accessoire particulier, était un sac de toile attaché à la ceinture par un cordon et dissimulé sous le tablier. Enfin, Félicité pendrait dans l'armoire sa longue cape en drap noir qu'elle ne mettait jamais en semaine, et qu'elle réservait pour la messe du dimanche.
La jeune mariée montrait sa richesse par l'abondance du linge qui constituait son trousseau. Il était signe d'aisance, de confort. Et il fallait bien que le linge fût abondant : on ne faisait la lessive qu'une ou deux fois par an. Cette opération fatigante avait lieu en avril et fin octobre.
(...)
Présentation de l'éditeur :
Qui était réellement la mère d'Arthur Rimbaud ?
Madame Rimbaud était une horrible mégère doublée d'une mère castratrice, si l'on en croit l'imagerie scolaire et certaines légendes rimbaldiennes. La vérité est différente, plus complexe. Vitalie Rimbaud, née Cuif en 1825 dans une ferme des Ardennes, était une femme simple. Ayant perdu sa mère à l'âge de cinq ans, elle restera seule pour diriger l'exploitation familiale. Mariée au capitaine Frédéric Rimbaud en 1853, Vitalie sera abandonnée avec ses quatre enfants et devra affronter seule - une fois encore - le bombardement de Charleville-Mézières, l'humeur vagabonde de ses fils et notamment d'Arthur, la maladie d'une de ses filles... Elle se disait «vouée à toutes les souffrances de la vie».
Françoise Lalande est née dans les Ardennes. Après avoir vécu en Afrique et en Amérique latine, elle retrouve l'Europe et ses anciens parapets. Administratrice d'Amnesty International Belgique de 1976 à 1981, elle enseigne ensuite la littérature du XXe siècle à la Haute École de Bruxelles. Depuis 2011, elle vit entre la Tunisie (La Marsa-Cube), le Maroc (Tiznit, sud berbère) et la Belgique (Bruxelles).
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