Extrait :
SEYHMUS, PROMIS ET DÉSIRÉ
J'ai dressé sept bougies,
Sur le seuil de sept portes.
Sept vies, je le jure.
Quarante mots prononcés,
Et j'en compris sept.
L'été indien illumine un jour d'automne, une belle journée de novembre 1997. Avec des amis, nous nous retrouvons pour l'inauguration, après rénovation, de l'une des plus anciennes portes de Diyarbakir, la porte de Mardin.
Le poète Kemal Varol a trouvé les mots justes :
Mon émotion aurait pu être ce tremblement des mains du colporteur passant une fois par semaine au village. Là encore, j'ai troqué quelques oeufs, une pelote de laine contre les portes de cette ville qui n'est pas encore nôtre.
La cérémonie s'achève. Juste après, nous prenons la route de Mardin et Midyat. Nous sommes un petit groupe. Parmi nous se trouvent Metin Sozen, président de la Fondation pour la protection du patrimoine, ainsi que l'écrivain Migirdiç Margosyan, mon voisin, «mon pays».
Me voici aux côtés de Margosyan, lancé sur la route de Mardin et, selon les moments, plongé dans de profondes conversations ou dans mes pensées. Au volant, c'est un autre Seyhmus, un employé de la sous-préfecture de Midyat. Il prend parfois brièvement la parole. Le lecteur de cassettes enchaîne les chansons. J'ai beaucoup donné à Seyhmus, à Seyhmus. Ce refrain semble annoncer le panneau jaune qui surgit sur la droite de la route indiquant le lieu-dit Pirhatab. Sous peu, je le sais, se profilera le mausolée de sultan Seyhmus, aux bras chargés de sens et de souvenirs. Ce sultan Seyhmus à qui je dois mon nom, j'en ai maintes fois éprouvé le legs, une direction donnée à ma vie, une ombre, une vérité qui ne cesse de précéder chacun de mes pas.
Je me souviens. Lors du concours de sous-préfet - l'un des grands moments de ma vie - en sus des questions juridiques et administratives, le jury me demanda le sens de mon prénom.
- Seyhmus est le cheik qui fait ou essaye de faire son travail du mieux possible, expliquai-je.
- Et lorsque vous serez sous-préfet, serez-vous donc celui qui remplira le mieux sa fonction ?
- Je m'y efforcerai.
Présentation de l'éditeur :
Diyarbakir, le Tigre, la Mésopotamie : cinq mille ans pour une histoire d amour qui s est perpétuée jusqu à nos jours. Aujourd hui, au XXIe siècle, Diyarbakir « Amed » de son nom kurde est la métropole du sud-est de la Turquie, une agglomération en extension permanente que les Kurdes de cette région tiennent pour leur « capitale ». Dans cet ouvrage, publié en français pour la première fois, Seyhmus Diken se fait la voix de sa ville natale une voix douce et amicale, une voix apaisée. Voix de son passé, de ses murs antiques et monumentaux, de cet anneau de pierre noire qui lui offre les plus longues fortifications urbaines de la planète. Au fil des pages s impose le caractère basaltique d une cité que dévorent le présent, les souffrances et les vagues de l exil des hommes. L auteur donne la parole aux lieux enfouis, détruits et oubliés, aux sensations, aux amitiés envolées, à cette nostalgie que distillent chants et poèmes où se rêve Diyarbakir. À mille lieues de tout discours urbanistique, il se livre à un essai de géographie intime, conviant en ses lignes un assemblage unique de souvenirs personnels, d anecdotes et d airs populaires qui donnent une chair si singulière à cette ville fugitive. Suivre le sillage du guide Seyhmus Diken, c est plonger par le texte et ici par l image dans la mémoire d une Turquie « turque » mais aussi kurde, juive, arménienne, syriaque et chrétienne, d une Turquie bien plus complexe et bigarrée que ne le dit, que ne le veut le présent. C est en redécouvrir les promesses.
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