Extrait :
Comment s'amusent les fous
En me privant de mon seul protecteur, la mort du prince de Condé, au printemps de l'an 1588, me mit dans une situation désastreuse. L'hiver de cette même année, alors que le roi de Navarre passait son Noël à Saint-Jean d'Angely je sombrai dans la misère la plus noire. Je ne savais plus alors -je peux bien l'avouer aujourd'hui sans honte - vers qui me tourner pour obtenir ne serait-ce qu'une pièce d'or ou un fourreau neuf. Je n'avais pas d'emploi, et pas non plus la moindre perspective d'en trouver un. La paix finalement reconstruite et récemment scellée à Blois entre le roi de France et la Ligue, loin de renflouer les caisses vides des huguenots ou de leur permettre de remettre leurs troupes en ordre de bataille, ne fit que convaincre nombre d'entre eux de l'imminence de leur perte.
Le prince mort, le roi de Navarre ne comptait plus aucun rival dans le coeur des huguenots - l'ambition turbulente du vicomte de Turenne commençait déjà à se faire sentir, et M. de Châtillon était au même niveau que lui. Cependant, ayant l'infortune de n'être connu d'aucun de ces trois chefs de file, et comme l'arrivée de décembre, qui me trouva si démuni, coïncidait avec celle de mon quarantième anniversaire - un âge que, contrairement à la plupart des gens, je considère comme le point culminant dans la vie d'un homme -, on comprendra aisément que j'avais bien besoin de tout le courage puisé dans la foi et de mes nombreuses expériences au service de mon souverain.
Quelque temps auparavant, j'avais été contraint de vendre tous mes chevaux, à l'exception du sarde noir qui avait une tache blanche sur le front. Et voilà qu'à présent j'étais obligé de me séparer aussi de mon valet de chambre et de mon palefrenier. Je les congédiai le même jour, leur payant leurs gages avec les derniers maillons qui me restaient d'une chaîne en or. Ce ne fut pas sans chagrin ni sans désarroi que je me départis de tous les atours d'un homme de rang, forcé désormais de panser moi-même mon cheval la nuit, pour ne pas être vu. Mais ce n'était pas là le pire. Mes vêtements, qui souffrirent inévitablement de ces activités subalternes, commencèrent très vite à trahir l'évolution de ma situation financière ; si bien que le jour de l'entrée du roi de Navarre dans Saint-Jean, je n'eus pas le courage d'affronter la foule, toujours prompte à remarquer l'appauvrissement de ceux qui lui sont supérieurs. Je préférai rester à l'intérieur à m'impatienter dans la mansarde du coutelier, rue de la Coutellerie, seul logement que je pouvais m'offrir dorénavant.
Présentation de l'éditeur :
«J'ai lu Le Gentilhomme et le Roi [...] Mon cher ! c'est tout simplement une pure merveille ; un vrai roman de chevalerie, dans la veine de Dumas, mais différent», écrit Robert Louis Stevenson dans une lettre à Sidney Colvin (le 29 mai 1893).
Malgré son passé glorieux et ses faits d'armes prestigieux, Gaston de Marsac vit désormais dans un complet dénuement. Il reprend du service avec bonheur et soulagement quand il se voit confier par Henri de Navarre (le futur Henri IV) une mission secrète de la plus haute importance. Il va, pour tenter de la mener à bien, traverser une France perpétuellement déchirée par les tensions entre catholiques et huguenots, et bientôt ravagée par une terrible épidémie de peste. La jeune femme qu'il est chargé d'escorter et un prêtre malveillant se relaient pour lui compliquer la tâche. Mais notre héros résiste de son mieux, n'ayant qu'un seul but : servir son maître avec honneur, et écarter les nombreux adversaires qui se dressent en travers de sa route. Coups de théâtre, enlèvements, duels, trahisons et amours contrariées s'entrelacent dans cette course-poursuite où les figures historiques côtoient les personnages de fiction.
Peu connu en France,.Stanley J. Weyman (1855-1928) fut pourtant, de l'avis même de Stevenson ou Wilde, l'un des plus grands auteurs d'aventures historiques de son temps. Avocat de formation, il abandonne le barreau quand sa carrière littéraire prend de l'essor. Il écrira alors une trentaine de romans historiques aux intrigues fortement charpentées, qui privilégient les figures et les faits excentriques, sans toutefois tomber dans le grand guignol. Deuxième oeuvre d'envergure de l'auteur. Le Gentilhomme et le Roi fut publié en 1893 et connut un succès encore bien supérieur à son premier roman. La Maison du loup (paru aux Editions du Revif).
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