Extrait :
POLLOCK ET LE CHAMANISME, POUR UNE RELECTURE
MARC RESTELLINI DIRECTEUR DE LA PINACOTHÈQUE DE PARIS
Moteurs souvent exaltants pour les créateurs, les ponts entre les cultures offrent aux artistes un retour à une culture originelle, seule possibilité parfois pour fuir un monde oppressant. Ils permettent aussi d'échapper au quotidien lorsque les climats politiques et économiques sont particulièrement difficiles. Ces ponts entre les cultures donnent enfin aux artistes l'occasion d'aborder des univers inconnus pour le commun des mortels. L'artiste, à sa grande satisfaction, se distingue ainsi du non-artiste en abordant des rivages qui resteront inexplorés pour le second.
Ainsi en est-il de Pollock qui s'est tourné, dès le début de sa carrière, vers le chamanisme. L'exposition présentée aujourd'hui à la Pinacothèque de Paris illustre cette relecture révolutionnaire de son oeuvre.
Comme Gauguin, Picasso ou Modigliani, Pollock s'est intéressé au Primitivisme, plus particulièrement aux arts amérindiens. Le fait est avéré. Mais l'usage veut que l'on considère le passage à la période des «drippings» - appelée expressionisme abstrait américain - comme un abandon de cet intérêt pour une nouvelle période de son art dans laquelle toute référence amérindienne aurait disparu.
Quand Stephen Polcari a évoqué devant moi pour la première fois l'idée que Pollock avait été, au-delà de l'intérêt que l'artiste portait pour les indiens d'Amérique, très attiré par le chamanisme et que son art avait été transformé davantage de ce qu'il était possible d'imaginer, j'ai pensé tout d'abord que cette théorie était téméraire, voire peu crédible. Mais mon intérêt personnel pour l'influence du primitivisme dans l'art moderne m'a sensibilisé à sa théorie. La confrontation à l'oeuvre lui donnait indéniablement raison.
C'est avec une fascination complète que la démonstration s'est également imposée à moi : à l'évidence, le chamanisme fut pour Pollock l'aboutissement d'une pensée et d'une attraction pour le passage à travers des portails mystiques permettant d'atteindre des mondes que le commun des mortels ne pouvait pas atteindre. Au fur et à mesure que la démonstration se faisait évidente, se révélaient les connections avec le surréalisme et plus particulièrement avec André Masson qui fut l'un des principaux référents de Pollock avec celui de l'art amérindien.
C'est ainsi que peu à peu il m'est apparu évident que les «drippings» n'étaient plus seulement des oeuvres purement abstraites, mais aussi des oeuvres symboliques avec des éléments de référence au chamanisme ou aux rituels chamaniques.
Il a démonstration m'entraînait évidemment vers cette relecture complète de l'oeuvre de Pollock. Dès lors, la logique abstraite s'effondrait au profit d'une volonté délibérée de l'artiste de faire croire à la disparition du sujet pour, tout comme le rituel initiatique chamane, accéder à des portails mystiques que tout un chacun ne pourrait pas voir, mais qui seraient réservés à quelques initiés. Ainsi l'oeuvre de Pollock dite «abstraite» n est abstraite que pour cacher le sujet secret, visible des seuls initiés. Pollock est un enfant de l'analyse jungienne. La notion d'inconscient et d initiation ou de rite initiatique est très forte chez lui.
L'idée d'atteindre d'autres mondes est évidente comme en témoignent la connaissance du monde indien qu'avait Pollock dès cette époque et l'exposition sur l'art amérindien organisée par le MoMA en 1941.
Présentation de l'éditeur :
« L'évolution de Jackson Pollock s'inscrit toute entière dans les hypothèses, la culture et les valeurs de son époque. Son art est issu d'un ensemble de transformations rituelles et psychologiques, qui ont eu lieu en réaction aux conflits destructeurs des années 1930 et 1940, et au contexte socioculturel censé les avoir produits. Jackson Pollock dénonce la société qui a engendré l'homme des masses, avant même la formation du système totalitaire qui a abouti à Nuremberg.
Soucieux de représenter la dangereuse vacuité de cette société et d'indiquer de possibles moyens de la transformer, Pollock s inspira des puissances et des images de l'inconscient, et puisa dans la richesse culturelle du monde, dans son passé comme sa modernité. Il fit appel à de nouvelles sources de transformation spirituelles, délaissées par la société industrielle urbaine. » Stephen Polcari
Stephen Polcari jette dans cet essai passionnant un regard neuf sur l'oeuvre d un des artistes les importants du XXème siècle.
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