Extrait :
Je crois que je n'ai jamais connu personne qui se révélât plus différente de son apparence qu'Emma Van A.
Lors d'une première rencontre, elle ne donnait à voir qu'une femme fragile, discrète, sans relief ni conversation, d'une banalité promise à l'oubli. Pourtant, parce qu'un jour j'ai touché sa réalité, elle ne cessera de me hanter, intriguante, impérieuse, brillante, paradoxale, inépuisable, m'ayant pour l'éternité accroché dans les filets de sa séduction.
Certaines femmes sont des trappes où l'on tombe. Parfois, de ces pièges, on ne veut plus sortir. Emma Van A. m'y tient.
Tout a commencé un timide, frais mois de mars, à Ostende.
J'avais toujours rêvé d'Ostende.
En voyage, les noms m'attirent avant les lieux. Dressés plus haut que les clochers, les mots carillonnent à distance, distincts à des milliers de kilomètres, envoyant les sons qui déclenchent les images. Ostende...
Consonnes et voyelles dessinent un plan, dressent des murs, précisent une atmosphère. Quand la bourgade porte le patronyme d'un saint, ma fantaisie la construit autour d'une église ; dès que son vocable évoque la forêt - Boisfort - ou les champs - Champigny -, le vert envahit les ruelles ; s'il signale un matériau - Pierrefonds -, mon esprit gratte les crépis pour exalter les pierres ; évoque-t-il un prodige - Dieulefit -, je conçois une cité posée sur un piton escarpé, dominant la campagne. Lorsque j'approche une ville, j'ai d'abord rendez-vous avec un nom. J'avais toujours rêvé d'Ostende. J'aurais pu me contenter de la rêver sans y aller si une rupture sentimentale ne m'avait jeté sur les routes. Partir ! Quitter ce Paris trop imprégné des souvenirs d'un amour qui n'était plus. Vite, changer d'air, de climat...
Le Nord m'apparut une issue car nous n'y étions jamais passés ensemble. En dépliant une carte, je fus aussitôt magnétisé par sept lettres tracées sur le bleu figurant la mer du Nord : Ostende. Non seulement les sonorités me captivaient mais je me souvins qu'une amie possédait une bonne adresse pour y séjourner. En quelques coups de téléphone, l'affaire fut réglée, la pension réservée, les bagages entassés dans la voiture, et je m'acheminai vers Ostende comme si mon destin m'y attendait.
Parce que le mot commençait par un O d'étonnement puis s'adoucissait avec le s, il anticipait mon éblouissement devant une plage de sable lisse s'étendant à l'infini... Parce que j'entendais «tendre» et non pas «tende», je me peignais les rues en couleurs pastel sous un ciel paisible. Parce que les racines linguistiques me suggéraient qu'il s'agissait d'une cité «qui se tient à l'ouest», je combinais des maisons groupées face à la mer, rougies par un éternel soleil couchant.
Biographie de l'auteur :
Né en 1960, normalien, agrégé et titulaire d'un doctorat en philosophie, Eric-Emmanuel Schmitt s'est d'abord fait connaître au théâtre avec Le Visiteur, devenu un classique du répertoire international. Rapidement, d'autres succès ont suivi. Plébiscitées tant par le public que par la critique, ses pièces ont été récompensées par plusieurs Molière et le Grand Prix du théâtre de l'Académie française. Son oeuvre est désormais jouée dans plus de cinquante pays. Sa carrière de romancier, initiée par La Secte des égoïstes, s'est entre autres poursuivie avec L'Evangile selon Pilate, La Part de l'autre, Ulysse from Bagdad... Son Cycle de l'Invisible (Milarepa, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Oscar et la dame rose, L'Enfant de Noé) a remporté un immense succès en France et à l'international. En 2006, il écrit et réalise son premier film, Odette Toulemonde (sorti en février 2007). Grand amateur de musique, Eric-Emmanuel Schmitt est aussi l'auteur d'une autofiction : Ma vie avec Mozart. Il vit à Bruxelles et vient de réaliser son deuxième film, tiré d'Oscar et la dame rose.
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